Le concept d’utilisateur-payeur a fait son chemin ces dernières années dans le secteur des transports : des partis politiques, des gens d’affaires et des universitaires l’ont recommandé sous la forme d’une « taxe au kilomètre ». Le Détecteur de rumeurs et Unpointcinq résument la question.
La taxe kilométrique ou tarification kilométrique, repose sur le principe de l’utilisateur-payeur. L’idée est de faire payer les automobilistes pour chaque kilomètre parcouru sur le réseau routier, selon un tarif fixe (par exemple, 0,15 $ le kilomètre) ou un tarif modulable en fonction de différents critères (la localisation, l’heure de la journée, la taille et la consommation d’essence du véhicule, le nombre de passagers) établis en vue d’atteindre certains objectifs.
À Montréal, le parti de la mairesse Valérie Plante, Projet Montréal, a adopté l’idée, appelée « taxe kilométrique », à son congrès annuel, en avril 2021. Des organismes aussi divers que l’Alliance TRANSIT — qui milite pour l’amélioration des transports collectifs — la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et CAA-Québec, l’ont mise de l’avant dans des mémoires présentés au ministère des Transports, lors d’un chantier sur le financement des transports en 2019. L’idée est aussi recommandée par des experts en transport et en aménagement.
Tout récemment, en prévision de la campagne électorale provinciale, la Communauté métropolitaine de Montréal suggérait aux partis politiques d’évaluer l’implantation d’une taxe kilométrique pour remplacer la taxe sur l’essence, dont les revenus risquent de diminuer.
Une mesure pour inciter les gens à moins rouler?
L’une des raisons est évidemment que ses promoteurs espèrent qu’une telle tarification entraînera un changement de comportement chez les automobilistes. La littérature scientifique en transport et en économie indique que le fait de rendre plus évident le coût réel d’utilisation de l’automobile pourrait inciter plus de gens à en réduire l’utilisation et/ou à se tourner vers d’autres modes de transport, comme l’autobus, le covoiturage ou même le vélo. Selon une revue de la littérature parue en 2018, cette réduction de l’utilisation de l’automobile pourrait permettre une diminution d’environ 10 % des émissions de GES du transport routier.
De plus, si le tarif varie selon la localisation et le moment de la journée, certains automobilistes voudront adapter leurs destinations et leurs heures de déplacement, atténuant ainsi les pointes de congestion. Enfin, à plus long terme, une tarification au kilomètre parcouru pourrait ralentir l’étalement urbain.
Mais ce n’est pas la seule raison invoquée par les défenseurs de cette idée. En fait, la première sur la liste est plutôt l’état des routes. D’après une analyse du professeur Jean-Philippe Meloche, de l’Université de Montréal, il y avait, en 2017, un manque à gagner de 800 millions$ entre, d’une part, le total des revenus provenant des taxes sur l’essence, des droits d’immatriculation et des péages routiers, et d’autre part, les dépenses relatives au développement et à l’entretien des routes. Cet écart est appelé à croître rapidement avec l’électrification des transports (baisse des taxes sur l’essence) et l’augmentation des coûts d’entretien de nos réseaux vieillissants.
Une autre justification renvoie au principe d’écofiscalité. Les revenus générés par ces redevances pourraient être employés pour financer les alternatives à l’automobile, notamment le transport en commun. En fait, ce dernier aspect, selon certaines études, rendrait la tarification kilométrique plus populaire que si elle servait uniquement à financer les routes.
Technologiquement réaliste?
Une première façon de faire serait l’installation d’un transpondeur avec ou sans GPS, à bord de tous les véhicules motorisés. La technologie avec GPS permet de moduler le prix selon l’heure et la zone géographique: par exemple, de facturer plus cher les kilomètres parcourus sur le pont Champlain à 8 h un lundi matin, que ceux parcourus sur le même pont un dimanche après-midi.
D’autres avenues technologiques sont possibles, comme l’installation de caméras intelligentes sur l’ensemble du réseau routier afin de capter la présence des véhicules par l’entremise de leur plaque d’immatriculation.
L’acceptabilité sociale, un obstacle?
Toutefois, si les experts s’entendent sur les avantages d’une tarification kilométrique, il y a peu d’exemples d’application d’une telle mesure à grande échelle à tous les types de véhicules. Singapour met présentement à jour son système de tarification routière pour qu’il repose sur un système par transpondeur GPS. On trouve toutefois des applications adaptées aux véhicules lourds de transport de marchandises en Europe. Et des projets pilotes sont en cours aux États-Unis.
Le problème est que ces mêmes expériences démontrent que la population accepte difficilement ces mesures, car on demande aux automobilistes et aux entreprises de payer pour quelque chose qui, auparavant, était perçu comme gratuit.
Un autre enjeu est celui du respect de la vie privée, de la confidentialité et de la protection des données associées au transpondeur ou au GPS. Des mécanismes de protection des données doivent donc être mis en place dès le début du processus afin d’assurer la confiance du public.
L’acceptabilité sociale repose aussi sur des questions d’équité. Une telle mesure pourrait pénaliser davantage les personnes à mobilité réduite et les ménages à plus faibles revenus, forcés de se loger dans des endroits où les services de transports collectifs sont inadéquats.
À l’inverse, l’étude de l’Alliance TRANSIT suggère que l’acceptabilité sociale pourrait augmenter si, en contrepartie de l’instauration d’une tarification kilométrique, les impôts et les taxes foncières étaient réduits et la taxe sur l’essence, abolie — au lieu de cette dernière, « cachée » dans le prix de l’essence, l’automobiliste serait conscient de l’impact de ses déplacements, en fonction du moment de la journée ou de la semaine.