Qui sommes-nous, vraiment? Pour trouver la gloire, pour s’affirmer, faut-il absolument faire ses premières armes dans l’ombre de quelqu’un d’autre? Pour la pièce Lequel est un Basquiat, Philippe Racine offre une oeuvre qui s’articule autour de son expérience personnelle et qui lui permet de naviguer dans les eaux parfois surprenantes de la multidisciplinarité. Rencontre.
Jeune grapheur montréalais d’origine haïtienne, Sam est confronté à un dilemme : son grand talent lui a permis de se faire remarquer. Le hic, c’est qu’on lui demande de produire de fausses toiles de Jean-Michel Basquiat, un peintre afro-américain, à une époque protégé d’Andy Warhol, mort d’une overdose d’héroïne en 1988, à l’âge de 27 ans. Quel est le prix, au juste, de cette célébrité par artiste interposé? Voilà la question que se pose M. Racine, qui signe le texte, la musique et la mise en scène de cette pièce présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, et qui assure également une partie de l’interprétation.
D’entrée de jeu, au téléphone, Philippe Racine précise que cette oeuvre « n’est pas un biopic ». « Mon but n’est pas de rendre cela didactique au point que l’on connaît Basquiat en sortant du spectacle, mais il s’agit de se donner cette essence de la fougue et de la profondeur, à mes yeux, de Basquiat, et en profiter pour aborder des thèmes sociaux, un peu comme avec Antigone, où en revisitant le mythe, on aborde certains thèmes à caractère social », dit-il.
Et pourquoi avoir voulu mettre en scène un faussaire, ou plutôt pourquoi avoir voulu aborder ce sujet aussi tabou que répandu? « Dans le monde de l’art contemporain, les faussaires sont très prisés; il y a beaucoup d’argent à faire! », lance M. Racine en riant.
« Les faux peuvent être vendus très, très cher. Et je suis parti de cette anecdote-là pour établir un parallèle entre l’authenticité, comme valeur humaine, et l’authenticité des tableaux, et de ce que l’on en fait. C’est ce que j’ai essayé d’explorer dans le spectacle, entre autres choses. »
« J’ai voulu utiliser trois personnages principaux, je dirais », poursuit Philippe Racine. « Il y a moi, un aspect autobiographique; donc, il y a Philippe sur scène; il y a Samy, qui est un peu mon alter-ego, et il y a Basquiat lui-même. Et c’est ce jeu de miroirs, entre ces trois-là, qui crée cette impression, chez les spectateurs, d’un monde kaléidoscopique où je me prends pour Basquiat, je me prends pour Samy, Samy se prend pour Basquiat… Et l’ombre de Basquiat et de ses démons, et son art, viennent vraiment teinter ma perception du monde, et celle de Samy. Ce dernier est un jeune Montréalais, mais il est fortement influencé par Basquiat… au point d’en devenir fou, quasiment. »
Une passion toujours présente
Cet intérêt pour Basquiat remonte d’ailleurs à loin, mentionne M. Racine : « Avant d’arriver au Conservatoire, à Montréal, j’étais à l’université, à Trois-Rivières, et je me tenais beaucoup avec les gens du département des arts. Un de mes très bons amis m’avait montré une revue, dans laquelle j’ai vu mon premier Basquiat. Et ça m’avait frappé, à quel point ses oeuvres parlaient. Cela a été le début de mon cheminement avec Basquiat. Rapidement, je me suis mis à écrire sur lui. Quand j’ai commencé à m’y mettre un peu plus sérieusement, dans le but d’en faire une oeuvre, j’ai pris mes tableaux préférés, ceux que je trouvais qu’ils avaient une grande pertinence, et je me suis mis à faire de l’écriture automatique. »
« À un moment donné, j’ai commencé à resserrer un peu la structure, pour finalement arriver avec un spectacle; j’ai aussi composé beaucoup de musique. Basquiat m’inspirait beaucoup, je sentais une parenté avec lui, pas seulement parce que nous sommes tous les deux d’origine haïtienne, ça va beaucoup plus loin que ça. Je dirais qu’à l’époque, comme encore aujourd’hui, j’étais à la recherche de modèles noirs québécois, et il n’y en a pas beaucoup auxquels je peux m’identifier. Mais lui, parce qu’il était d’origine haïtienne, et par son parcours, il me parlait beaucoup. »
Après une première version d’un spectacle sur Basquiat qui n’a jamais vu le jour, l’idée est revenue à l’avant-scène du côté des gens du Théâtre de la Sentinelle. « Lyndz Dantiste et Tatiana Zinga Botao (avec qui il a notamment présenté Qui veut la peau d’Antigone) ont lu le texte et on dit « oui, bien sûr, c’est ça qu’il nous faut ». Je l’ai ressortie de mes tiroirs, et c’est alors que j’ai compris que puisque Basquiat était un être multidisciplinaire, et que moi aussi, c’était incontournable que je fasse cet exercice de multidisciplinarité dans ce spectacle-là. J’ai décidé de faire une synthèse de toutes les cordes à mon arc. »
Six jours, maintenant, après la première de l’oeuvre, quelle est la réaction du public?
« Je ne sais pas si les gens sont en état de choc, ou de bouleversement, mais il se passe quelque chose; je ne sais pas quoi, exactement, et c’est tant mieux que je n’aie pas une réponse rationnelle. Après tout, c’est un peu le but de ce spectacle-là : on sort des conventions, on brise le mur… C’est un spectacle performatif; si on enlevait le côté théâtral de la chose, cela pourrait être vu comme de l’art-performance », indique encore Philippe Racine.
« Je m’épuise jusqu’à arriver à un état d’abandon, où l’instinct prend la place sur le rationnel. Dans les oeuvres de Basquiat, il y a une charge émotionnelle, une frénésie que j’ai voulu recréer sur scène. »
Lequel est un Basquiat est présentée à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 1er octobre.