Pour la première fois, des chercheurs affirment avoir été capables d’amener « l’usine à protéines » de nos cellules à se reproduire en-dehors de nos cellules. Quant à savoir s’il faut y voir un pas vers une forme de vie artificielle, la marche est très haute.
On appelle ces « usines » des ribosomes. Présents dans toutes les cellules de tous les êtres vivants, les ribosomes ont pour tâche de « lire » une partie de notre ARN afin de produire des protéines qui seront indispensables au bon fonctionnement de notre corps. Les ribosomes n’existent qu’à l’intérieur de la cellule: ils se reproduisent lorsque la cellule se reproduit, et n’ont pas d’existence indépendante à l’extérieur d’une cellule vivante.
Or, des chercheurs de deux universités japonaises décrivent, dans une étude pré-publiée sur le serveur BioRxiv, une partie des conditions par lesquelles des ribosomes se seraient divisés par eux-mêmes, à l’extérieur d’une cellule: plus précisément, des ribosomes de bactéries E.coli réunis dans une éprouvette avec de l’ADN, et baignant dans une version modifiée du cytoplasme — la partie de la cellule située en-dehors du noyau. C’est dans la recette précise de cette version modifiée que serait le déclencheur ayant permis à ces ribosomes de fabriquer des versions d’eux-mêmes en trois heures, selon le chercheur principal, le biologiste Wataru Aoki, de l’Université de Kyoto. On n’en sait pas plus sur le processus, ni si le processus s’est poursuivi sur plus d’une génération.
Le ribosome est au coeur des interrogations sur les origines de la vie, il y a au moins 3 milliards et demi d’années. Dans cette « soupe » à l’intérieur de laquelle se sont assemblés les éléments de ce qui deviendrait plus tard de la vie, qu’est-ce qui est venu en premier et quel processus biologique a précédé les autres? On l’ignore, tout comme on ignore où placer le ribosome dans cette énigme, mais une chose semble sûre: il était là très tôt, parce qu’on le retrouve aujourd’hui dans toutes les formes de vie, de la plus simple jusqu’à la plus complexe. Découvrir qu’il peut se diviser par lui-même dans certaines conditions pourrait être une façon de comprendre comment il a pu le faire à l’origine, ou à défaut, par quels mécanismes les premières formes de vie ont pu le faire.
Ce n’est pas la seule équipe qui tente en ce moment de résoudre cette énigme. Dans une autre étude parue en février dernier, des chercheurs de l’Institut Weizmann, en Israël, affirment avoir reproduit en laboratoire le moment où une molécule d’ARN plus efficace que les autres serait parvenue à forger des liens entre des acides aminés, point de départ vers les futures protéines. Tout comme leurs collègues japonais, ces chercheurs tentent de décoder les mécanismes biochimiques apparus il y a 3 milliards et demi à 4 milliards d’années, et du même coup spéculent sur ce à quoi pourraient ressembler des protéines ou des ribosomes qui seraient un jour produits en éprouvette. Mais la marche est encore haute.