Une des raisons pour lesquelles la NASA est aussi prudente avec sa fusée Artemis, c’est qu’elle est la version spatiale de ces compagnies que l’on présente parfois comme étant « too big to fail »: celles qu’on ne peut pas se permettre de laisser échouer, même si tout le monde doute de leur pertinence.
Il faut se rappeler que l’agence spatiale américaine a déjà dépensé, contre vents et marées, 40 milliards$ dans ce programme qui inclut les fusées, appelées « Space Launch System » (SLS), et la capsule Orion qu’occuperont les astronautes. L’agence a été la victime de retards accumulés (SLS, démarré en 2011, devait initialement produire son premier lancement avant 2020) et ses détracteurs ont eu beau jeu de dire qu’elle aurait dû se tourner vers l’entreprise privée: ces dernières années, autant SpaceX (sous Elon Musk) que Blue Origin (sous Jeff Bezos) ont produit leurs propres fusées, quoique pas encore dans une « version » capable de se rendre jusqu’à la Lune.
La question de savoir si l’entreprise privée aurait fait mieux et plus vite restera toujours hypothétique, mais il est certain qu’un échec de la fusée Artemis 1 pèserait très lourd sur la réputation de la NASA. Cette fusée, inhabitée, doit se rendre en orbite lunaire, pavant la voie à Artemis 2, qui emportera en 2024 trois astronautes, et à Artemis 3, dont les occupants devraient se poser sur la Lune en 2025.
Les deux premières tentatives de lancement, les 29 août et 3 septembre, ont été reportées en raison, chaque fois, d’une fuite d’hydrogène dans un conduit d’alimentation du réservoir — la seconde fuite étant plus importante que la première. La prochaine tentative pourrait avoir lieu le 27 septembre ou le 2 octobre.
Lori Garver, ancienne administratrice de la NASA (de 2009 à 2013), commentait dans le New York Times le 3 septembre que l’hydrogène allait inévitablement être un problème récurrent, à cause des choix technologiques entourant le SLS.
La même Lori Garver déclarait au Scientific American en août: « le programme [Artemis] est fragile ». Elle est connue comme une critique de la politique de la NASA d’avoir utilisé pour ce retour sur la Lune le même type de fusée que celle qui a servi aux missions Apollo d’il y a 50 à 60 ans. Non seulement, dit-elle, « les missions les plus urgentes de l’agence spatiale impliquent des tâches comme de combattre les changements climatiques, défendre la Terre contre des astéroïdes menaçants et développer des technologies transformatrices pour le 21e siècle ». Mais en plus, lorsque l’intention est d’explorer d’autres mondes, l’agence devrait au moins dépenser une partie de son budget « pour stimuler des innovations qui amélioreraient la façon dont les humains se rendront là-bas ».
Elle répétait dans le New Scientist à la mi-septembre qu’à son avis, la NASA « retourne sur la Lune pour les mauvaises raisons »: « depuis l’époque où nous sommes allés sur la Lune, nous avons voulu y retourner », mais en agissant comme si le seul but n’était que d’y envoyer un astronaute succédant aux 12 précédents. « Peut-être que ce n’est pas la bonne façon de faire. L’autre façon de contourner un problème est de réduire les coûts. »
Il est acquis que, dans l’état actuel des choses, les coûts du SLS rendent impensable une poursuite du programme lunaire, au-delà d’Artemis 3, si du moins celui-ci ne doit dépendre que de cette fusée. C’est là que l’entreprise privée pourrait jouer un rôle, en développant sa propre fusée lunaire, comme elle développe déjà le futur module d’alunissage. Mais il faut pour cela une volonté politique, accuse Lori Garver: « la raison pour laquelle nous retournons maintenant sur la Lune, c’est que la construction du SLS a créé de l’emploi pour des travailleurs américains, et les élus du Congrès dont ces emplois sont dans leurs districts, veulent les garder ».