Au moment où les partis politiques entament la troisième semaine de campagne, au Québec, il a beaucoup été question de baisses d’impôts, d’environnement et de taxation des plus riches, notamment, mais peu ou pas des lois 21 et 96, portant respectivement sur le port de signes religieux pour certains membres de la fonction publique et sur la primauté de la langue française. Pour la professeure Pearl Eliadis, de l’Université McGill, ces deux enjeux sont pourtant majeurs, et pourraient donner du fil à retordre aux politiciens.
Au bout du fil, Mme Eliadis n’est d’ailleurs pas prête à dire que ces deux enjeux n’ont pas été mis de l’avant depuis le déclenchement de la campagne. « Je pense que cela dépend avec qui on parle; je pense que vous avez raison pour ce qui est de la CAQ, par exemple. C’était dans leur plateforme, mais c’est déjà fait. Pour les libéraux, c’est compliqué, parce que sur l’île de Montréal, ils comptent beaucoup sur les anglophones et les allophones, qui se sentent pourtant trahis par la position adoptée par le PLQ lors du passage des deux lois, et leur silence plus ou moins important », indique-t-elle.
D’ailleurs, cette professeure agrégée de l’École de politiques publiques Max Bell et professeure associée à la Faculté de droit de McGill juge que pour bien des électeurs, l’intention de la cheffe libérale, Dominique Anglade, de retirer la clause nonobstant de ces deux lois – qui lèverait d’importantes barrières à leur contestation devant les tribunaux – « n’est pas suffisant pour la plupart de ces électeurs ».
« Le Parti québécois en parle, le nouveau Parti canadien du Québec en parle, tout comme le parti Bloc Montréal, dirigé par Balarama Holness », mentionne Mme Eliadis. « Cela dépend vraiment à qui on parle… Mais ce n’est pas dans l’intérêt du PLQ de placer ces sujets en tête de leur plateforme, pour des raisons de praticabilité. »
Toujours selon Mme Eliadis, ces sujets controversés ne sont donc pas évoqués parce que pour le parti de François Legault, il s’agit du passé, en quelque sorte. Pour le Parti québécois, on juge que la loi 96 n’est pas allée assez loin pour protéger la langue de Molière. « Et pour les libéraux, si on en parle, ils risquent de perdre des votes. »
Restent donc deux tiers partis, dont celui dirigé par M. Holness, candidat battu aux plus récentes élections municipales à Montréal, qui vise « à donner plus de pouvoir aux villes, dont Montréal ». Dans l’idée de Mme Eliadis, ce parti, ainsi que le Parti canadien du Québec, « sont des partis de protestation, qui vont prendre des votes aux libéraux ».
Et donc, affirmer que Mme Anglade se trouve quelque part entre Charybde et Scylla, il n’y a qu’un pas que l’on pourrait aisément franchir. D’autant plus que le PLQ a perdu tous ses comtés phares situés à l’extérieur de la métropole.
« Ça va nuire aux libéraux, qui peuvent alors encore moins parler de ces sujets. Pour les petits partis, dans certaines circonscriptions, ils vont prendre les votes des libéraux non seulement dans l’ouest de Montréal, mais aussi dans des sections de la métropole comme Côte-des-Neiges, où il y a toujours eu une bonne partie de la population qui votait pour les libéraux. Je ne suis pas certaine que ce soit toujours le cas. »
« Les choses bougent », indique Mme Eliadis.
Des enjeux toujours d’actualité
Parlera-t-on davantage des enjeux de l’intégration et de la langue française? Le premier ministre sortant a certainement commis un impair en évoquant un lien entre immigration et violence, la semaine dernière, avant de se rétracter. Déjà, avant le déclenchement de la campagne, plusieurs coups de sonde évoquaient une frustration des communautés immigrantes, allophone et anglophone envers les projets de loi 21 et 96. Mais est-ce suffisant pour que ces enjeux remontent à la surface?
Pour la professeure Eliadis, cela dépend de l’endroit où l’on s’informe. Il existerait ainsi une différence notoire entre les thèmes abordés dans la presse anglophone, y compris la presse locale et communautaire, et ceux mentionnés dans les grands médias francophones, juge-t-elle.
« Je pense que l’impact de ces préoccupations dépendra aussi de la mobilisation de leaders du monde des affaires qui, récemment, se sont réveillés et qui se sont rendu compte que la loi 96 va leur imposer des coûts très importants. Il s’agit évidemment des entreprises en technologie, en import-export… Bref, là où le personnel doit être bilingue.
« Lorsque les membres de la majorité commencent à voir l’impact de la langue sur eux, là, je pense que ça va être un problème », ajoute encore Mme Eliadis.
Ainsi, si la Coalition avenir Québec espérait que les dossiers des signes religieux et de la langue française soient derrière elle, la réalité pourrait en fait être tout autre.
En attendant, plusieurs groupes attendent les prochaines étapes des contestations de ces lois. Et le Parti libéral du Canada pourrait ne pas être très loin derrière, lui non plus, alors que le gouvernement Trudeau n’a jamais fermé la porte à l’idée d’épauler les contestataires devant la Cour suprême, si besoin est.
Si François Legault et la CAQ réussissent à remporter un deuxième mandat, celui-ci pourrait donc être particulièrement agité.