Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie… ou, plutôt, avant la deuxième invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a justement eu cette drôle de guerre, cette semi-guerre civile pilotée par Moscou, qui a permis à des séparatistes prorusses de s’emparer de vastes régions de l’est du pays. Et dans Tranchées, le réalisateur Loup Bureau présente cette guerre de position. Ce prélude au « vrai » conflit, si l’on veut.
Ils sont une poignée : presque tous des hommes, presque tous des jeunes. Ces soldats ukrainiens sont envoyés sur une ligne de front qui a presque des allures de rêve éthéré. Bien sûr, l’ennemi est quelque part, là, en face. Mais dans cette gigantesque plaine de la steppe ukrainienne, la seule preuve de l’existence de l’autre, ce sont ces tirs qui résonnent de temps en temps, ces bombardements qui peuvent frapper à n’importe quel moment.
Autrement, à l’exception des équipements technologiques, on pourrait se croire de retour en 1914-1918 : les soldats présentés dans ce documentaire sont installés dans des tranchées, et outre les bombardements subis, il faut se nourrir, se laver et… creuser d’autres tranchées.
L’un des soldats déclarera d’ailleurs qu’il a davantage manipulé une pelle, une pioche ou encore une barre à clou, que son arme, pendant son passage au front.
Autrement, les hommes attendent. Et s’ennuient. Peu à peu, la peur s’installe. L’impression de risquer de mourir à tout moment. Ou s’agit-il d’un lent glissement vers la paranoïa, la schizophrénie, ou n’importe quelle autre maladie mentale provoquée par un mélange de stress intense et de dénuement tout aussi intense? Le fait qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, tout au plus, les Ukrainiens vivent leur vie comme si de rien n’était, ne doit pas contribuer à la bonne ambiance générale. Idem pour cette usine, que l’on aperçoit au loin à de nombreuses reprises, et dont les fourneaux semblent actifs. S’agit-il d’une installation nécessaire à l’effort de guerre? Y produit-on plutôt des biens de consommation ordinaires? Ou est-ce encore une centrale électrique qu’il importe de protéger pour éviter que la population civile ne se retrouve dans le noir? On n’en sait rien.
Sur le plan technique, Loup Bureau a opté pour une méthode qui vient renforcer l’aspect tragique et intemporel du conflit : les images sont présentées en 4:3 et en noir et blanc. Il faudra attendre le départ de la zone des combats, en fait, pour retrouver de la couleur. La symbolique est tout sauf complexe, certes, mais elle est efficace.
Un an après sa sortie, alors que la guerre fait rage sous une autre forme, en Ukraine, Tranchées est pratiquement prophétique. De nouveau, des soldats sont installés dans des tranchées et des abris de fortune, et baissent instinctivement la tête lorsque tombent les obus. Mais nul doute qu’ils passent aussi bien du temps à s’ennuyer, à regarder leur téléphone, à jouer à Mortal Kombat, ou encore à… creuser des tranchées.