L’heure est à la passation des pouvoirs dans ce grand théâtre niché dans le quartier Centre-Sud, à Montréal; Danièle de Fontenay vient de signer sa dernière saison à l’Usine C comme directrice générale et artistique. La cofondatrice de l’institution culturelle cède ainsi sa place à la metteuse en scène et dramaturge Angela Konrad, qui ne cache pas sa fébrilité à l’idée de se retrouver à la tête de cet endroit qu’elle apprécie tout particulièrement.
« C’est sûr que c’est une transition assez importante; je commence le 1er septembre, après avoir terminé mon précédent mandat le 31 en soirée… Alors, c’est vraiment une passation sans intervalle. Et comme je connais déjà l’Usine C depuis une dizaine d’années, j’ai à la fois l’impression d’être dans du connu et d’être complètement dans l’inconnu », mentionne Mme Konrad au bout du fil.
Cette dernière précise d’ailleurs que « d’être à la direction générale et artistique c’est à la fois une très grande responsabilité dont je prends évidemment la mesure, une très grande charge de travail, mais aussi une très grande voie qui s’accompagne d’une liberté de créer, créer une programmation, c’est comme si j’ai la sensation de peut-être une création à l’échelle d’une maison qui existe, et qui a une histoire magnifique. Et qui, encore cette année, présente une programmation très riche, très diversifiée ».
Si Mme Konrad n’a pas contribué à la conception de la programmation de la saison 2022-2023, qui regroupera pas moins de 14 créations, elle est déjà à l’oeuvre pour prévoir les années 2023-2024. Des rencontres avec les membres de l’équipe technique et administrative sont aussi au programme.
Qui dit performances artistiques, à notre époque, dit aussi s’attendre à un éventuel retour des mesures sanitaires, dans un contexte où la pandémie de COVID-19 rôde toujours. Si la tension semble moindre qu’au début de la crise, avec la fermeture draconienne de presque tous les endroits publics, y compris les théâtres, Mme Konrad n’en reste pas moins sur ses gardes.
« On s’attend à une huitième vague. Mais on a aussi l’expérience de deux ans de pandémie, en plus de l’expérience de la cruauté de la fermeture des lieux; on connaît aujourd’hui ses impacts et ses répercussions », indique-t-elle. « Je dirais que je profite certainement de l’expérience antécédente de la gestion de la pandémie. En plus, j’ai l’impression que le monde a changé. Il y a un genre de vulnérabilité par rapport à ce qui peut toucher l’espèce humaine, à l’échelle mondiale, et je crois qu’il y a quelque chose qui a changé dans notre rapport aux autres. »
Cette révolution technologique alimentée par la pandémie, avec son télétravail et son changement des modèles de diffusion, notamment avec un plus grand recours aux spectacles offerts en ligne, pour des publics qui n’avaient parfois jamais eu accès aux oeuvres présentées dans les salles montréalaises, ou ailleurs, va aussi teinter les créations théâtrales à venir, estime Mme Konrad. C’est d’ailleurs déjà un peu le cas, rectifie-t-elle.
« Après, la question que je me pose, c’est quel sera l’impact de cette vulnérabilité sur les oeuvres, sur leur diffusion. »
Présenter, mais de quelle façon? À quel endroit?
Ultimement, avance encore Mme Konrad, l’art vivant « ne possède pas d’alternative » : il faut que celui-ci soit présenté devant public, sur scène. « Rester devant un écran pour voir un spectacle n’est pas du tout dans l’expérience esthétique de l’art vivant. Par contre, je pense que l’on peut développer des outils numériques qui permettent de décentraliser l’art et la culture, de l’amener dans les régions, via internet, et permettre aussi à la jeunesse, ou encore à tous, d’avoir un contact avec des oeuvres majeures qui ne se promènent pas dans les régions. »
« Je crois qu’il faudra réfléchir à ce sujet », ajoute-t-elle.
En attendant, l’emploi du temps de Mme Konrad sera particulièrement chargé. Parce qu’en plus d’occuper les fonctions de directrice générale et artistique, la femme de théâtre demeure directrice artistique de la compagnie LA FABRIK. Et c’est sans oublier, également, son contrat d’exclusivité d’une durée de 10 ans signé avec l’Usine C, qui est toujours en cours.
Nul doute, ainsi, qu’Angela Konrad souhaitera présenter les deux autres volets de la trilogie Vernon Subutex, de Virginie Despentes, dont la première partie a été jouée en juin.
Et comment combiner tout cela? Au téléphone, Mme Konrad répond « qu’elle a toujours su s’organiser d’une certaine manière, d’avoir une vie du côté de ce qui sera maintenant la direction artistique et la création ».
« J’ai toujours dit que la clé du succès, c’est l’anticipation. Avec des projets de grande envergure, j’ai dû les anticiper, notamment avec des maquettes. Je crois que c’est peut-être aussi une réflexion sur comment créer différemment, comment créer autrement. Dans le futur, j’aimerais donner plus de place à la recherche, à l’approfondissement de la recherche théâtrale. Et permettre aussi aux créateurs et interprètes avec qui je travaille d’envisager des créations à plus long terme. »
« Je vais continuer à organiser ma vie pour pouvoir faire les deux (direction et création), tout en me gardant un espace de liberté personnelle. Mais je suis une sportive dans l’âme… Je crois qu’il y a quelque chose de cette exigence-là, de cette hyperactivité-là qui reflète assez bien mon énergie vitale. Moi je suis très heureuse avec tout ça », conclut Mme Konrad.