Les forêts boréales connaissent de plus en plus d’hivers doux. Les Canadiens qui n’aiment pas l’hiver ne s’en plaindront pas, mais cela reste une moins bonne nouvelle dans la lutte aux changements climatiques.
Car des hivers plus doux affecteraient la capacité des forêts nordiques à remplir leur rôle d’atténuation des perturbations climatiques, en réduisant leur capacité à capter le carbone.
« Certaines espèces, comme le pin gris, répondent bien, alors que pour d’autres, comme le bouleau blanc, c’est plus compliqué », annonce Martin Girardin, chercheur scientifique à Ressources naturelles Canada et auteur d’une récente étude québécoise. « C’est très disparate, alors avoir une courte saison froide n’est pas toujours une bonne chose ».
Près de 40 % de la superficie du Canada est couverte de forêts, essentiellement boréales et tempérées, dominées par les conifères. Par ces vastes étendues, le pays joue un rôle important dans la captation et le stockage du carbone – en commençant par ses tourbières boisées, championnes de la séquestration carbone.
Les arbres s’avèrent évidemment sensibles aux changements climatiques. Ceux-ci affectent leur croissance, voire leur survie dans de nombreuses régions, particulièrement dans l’ouest où les taux d’humidité atteignent des records.
Or, le réchauffement hivernal – les experts parlent d’augmentations moyennes de 1,7 degré C – s’accompagne aussi d’un allongement de la période sans gel, d’environ 20 jours de plus.
On savait déjà que la séquestration carbone pouvait être limitée lors des étés caniculaires. Mais il semble que la diminution des gels hivernaux affecte aussi des populations de feuillus, amenées à « débourrer » trop rapidement – produire des bourgeons qui vont éclore. Avoir moins de gel signifie aussi plus de dommages, en raison des vents et des insectes.
« L’adaptation des arbres aux changements est plus lente que la vitesse à laquelle surviennent les changements climatiques. Certains profitent des hivers doux mais pour que cela se répercute sur la croissance, c’est un casse-tête », relève encore le chercheur.
C’est principalement parce que tout ne s’arrête pas à la hausse de température. Il y a aussi la disponibilité de l’eau pour les racines de l’arbre: les sols dégelés rapidement vont aussi avoir tendance à s’assécher plus vite.
Des arbres plus affectés que d’autres
Pour parvenir à quantifier cette croissance des arbres en relation avec l’exposition au froid, les chercheurs ont étudié les cernes de plus de 35 000 troncs d’arbres à travers 4375 sites canadiens. De plus, ils se sont intéressés à la surface terrière (TBA), une unité de surface permettant d’évaluer la croissance de l’arbre et de la forêt.
Ils ont particulièrement regardé les périodes froides, comprises entre novembre et avril, durant une période de près de 70 ans —entre 1951 et 2018. Parmi 57 espèces, ils ont découvert que de nombreuses gymnospermes, un groupe composé principalement de conifères, ne répondaient pas toujours bien à l’augmentation du nombre de gels tardifs.
La multiplication de ces épisodes de gel, durant la période où ces arbres ont des stratégies d’élimination d’aiguilles pour croître, s’avérait nuisible à la croissance annuelle de ces arbres, dont le sapin subalpin (Abies lasiocarpa) – un de nos arbres de Noël.
Les résultats de l’étude montrent donc que dans le futur, le réchauffement modéré des hivers pourrait temporairement améliorer la croissance des pins et de certains conifères.
Ces arbres vont le plus bénéficier d’hivers plus courts induits par les changements climatiques. « Plus le nombre de jours de gel diminue, plus l’aire basale des deux espèces de pins étudiées augmente », relève le chercheur.
Mais pour les autres espèces, c’est plus compliqué. Le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides), l’un des arbres les plus répandus en Amérique du Nord, et le bouleau blanc (Betula papyrifera) semblent préférer les hivers très froids pour leur croissance.
Ces arbres ont une stratégie de feuilles précoces, ce qui les fragilise lorsque le dégel survient trop vite. Tandis que les feuillus dont les feuilles surgissent plus tard au printemps, pourraient être moins affectés.
La croissance varie également, comme l’ont remarqué les chercheurs, selon la taille des arbres, leur âge, le climat régional (la température moyenne de la saison froide) et les conditions du site.
Ils soulignent néanmoins l’importance d’utiliser les relations entre la croissance des arbres et le climat des espèces pour affiner les prévisions de la dynamique du carbone forestier. « Jusqu’à présent, nous n’avions pas de grand portrait de la forêt naturelle. C’est donc important de représenter ça dans un modèle », note le chercheur.
L’empreinte climatique de l’hiver
« L’effet du froid hivernal est encore assez méconnu, donc cette étude apporte beaucoup pour le Canada : la plupart des études sur la résistance, la susceptibilité au froid et l’effet subséquent sur la croissance, proviennent de milieux tempérés en Europe », commente Annie Deslauriers, du Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi.
La spécialiste en physiologie et phénologie des arbres note aussi que les auteurs font bien ressortir les spécificités dans la réponse à la croissance chez certaines espèces ou lieux, évitant ainsi le piège de généraliser leurs résultats.
« La période choisie pour calculer leur « indice de froid » correspond au moment où, en novembre, les réserves en carbone des parties aériennes (l’amidon) sont transformées en sucres pour la résistance au froid, et vice-versa en avril. »
La période la plus critique serait celle de la fin de l’hiver, de février à avril. « C’est une période où la résistance au froid diminue rapidement et où le gel peut affecter les nouvelles pousses et les feuilles, donc avoir des effets sur la croissance. »
Selon elle, l’étude est assez rassurante pour les principales espèces de conifères du bouclier boréal —sauf les pins, pour lesquels cela prendrait des études plus poussées pour mieux comprendre l’effet négatif du gel— et les résultats sont assez logiques pour les espèces qui ont une très grande résistance au froid et une large distribution continentale (épinettes, mélèzes et sapins).
« Comme le soulignent les auteurs, une ouverture des bourgeons retardée confère plus de protection contre le gel des jeunes pousses chez ces espèces. Par contre, avec une augmentation des températures plus fortes au nord, ces espèces risquent d’être « impactées » par la multiplication d’épisodes de gel printanier, car l’ouverture des bourgeons répond plus fortement à l’augmentation des températures. »
Chez les angiospermes, dont le bouleau et le peuplier, le froid hivernal agit indirectement et favorise une plus grande croissance. « À part dans l’Ouest, je ne serais pas trop alarmiste pour le manque d’accumulation de froid pour les angiospermes – ce serait ma seule critique de l’étude – car elle est atteinte très rapidement en décembre-janvier. Des études physiologiques devront être réalisées pour déterminer si l’accumulation de froid sera suffisante pour ces espèces, surtout dans l’Ouest canadien », conclut l’experte.