Aux éditions Monsieur Toussaint L’ouverture, on faisait paraître récemment Le conquérant du Norvégien Jan Kjaerstad. Le roman raconte la vie d’un personnage plus grand que nature qui est devenu une personne influente dans son pays en créant une émission « révolutionnaire » qui parle de Norvégiennes et de Norvégiens remarquables. La traduction française est l’œuvre de Loup-Maëlle Besançon.
Dès le début du récit, on tente de nous convaincre que Jonas est quelqu’un de spécial, quelqu’un d’extraordinaire, dans une espèce d’apologie du narcissisme. Narcissisme qui est aussi l’apanage de la narratrice qui se targue de connaître mieux que quiconque la véritable histoire du héros presque déchu: l’histoire commence alors qu’il est accusé de meurtre de sa femme.
Le procédé narratif, que j’appellerais « à pentures » ou narration en abîme n’est pas inintéressant au début mais il devient rapidement un prétexte pour faire du remplissage et faire tourner en rond le récit. Il vaut la peine d’en citer un exemple : « Il convient à présent de ne pas se tromper, car cette histoire – relatant les conséquences fatidiques d’une peine de cœur – n’a pas sa place ici contrairement à ce que pourrait penser une personne extérieure. Or, en choisissant de la raconter maintenant, cette personne, sans s’en rendre compte, établirait un lien artificiel qui risquerait de compromettre tout le récit de la vie de Jonas Wergeland. Une modification même infime peut tout bouleverser (…) ».
Ainsi s’étire longuement ce récit qui voulant trop en faire, peut nous lasser rapidement. Après Le séducteur et Le conquérant, à quand Le dictateur?
Richler réédité
À l’autre bout du spectre, si l’on peut dire, Fils d’un tout petit héros, de Mordecai Richler, écrit en 1955, est réédité dans une traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné, chez Boréal.
Pour qui ne connaît pas déjà l’œuvre de Richler, voilà une bonne suggestion de lecture pour appréhender la truculence de cet auteur qui, s’il abhorrait les Québécois, aimait profondément la ville de Montréal. Il décrit les changements de saisons de la métropole avec une poésie économe mais efficace.
Et son regard est tout aussi pointu quand vient le temps de décrire une certaine communauté juive montréalaise des années 1950 qui se débat entre tradition et désir de modernité. Ce désir de modernité est personnifié principalement par Noah qui, dès l’adolescence, tient tête au patriarche de la famille. À tel point qu’il transgressera la règle sans doute la plus importante : ne pas se mettre en couple avec une femme non juive.
De la villégiature juive dans les Laurentides jusqu’au « ghetto » du Mile-End, on assistera à la naissance puis à la mort d’un amour impossible. C’est sans doute le cœur de cet ouvrage mais c’est aussi son aspect qui nous donne un peu l’impression de tourner en rond.
Voilà une réédition qui en vaut la peine mais il faudra aussi lire ou relire L’apprentissage de Duddy Kravitz.
Voyage vers le Sud
De la Norvège, en passant par le Mile-End, rendons-nous maintenant en Uruguay, d’où Mercedes Rosende nous propose L’autre femme, dans une traduction de Marianne Million, chez Quidam éditeur.
Nous sommes là en présence d’un objet un peu particulier qui tient du manifeste féministe, de la critique de la grossophobie et du roman noir, ou plutôt gris moyen. À partir d’un événement fortuit et tout à fait improbable, l’héroïne s’improvise maîtresse chanteuse et elle se prend elle-même à tel point à son propre jeu qu’elle se met à envisager l’irréparable.
Rosende écrit dans un style bien à elle, mêlant sarcasme, ironie, humiliation, tristesse et humour avec un bonheur égal, tout au long du récit. Il serait étonnant que ce roman se voit gratifié d’une suite tellement il apparaît unique. Ainsi, pour le prochain roman de Mercedes Rosende, les attentes seront sans doute grandes.