Une sécheresse prolongée a sans doute contribué à une guerre civile et à l’effondrement politique éventuel de Mayapan, l’ancienne capitale des Mayas sur la péninsule du Yucatan, selon ce que suggère une nouvelle étude publiée dans Nature Communications.
Mayapan a servi de capitale pour environ 20 000 Mayas, entre le 13e et le 15e siècles, mais a subi une catastrophe et a été abandonnée après qu’une faction politique rivale, les Xiu, eut massacré la puissante famille Cocom. De nombreux documents historiques permettent d’estimer que l’effondrement des structures politiques et l’abandon de la ville se sont produits quelque part entre 1441 et 1461 de notre ère.
Mais de nouvelles découvertes démontrent qu’une sécheresse, survenue un siècle auparavant, pourrait avoir joué un rôle plus important qu’estimé jusqu’alors dans la triste fin de la ville. Au dire des auteurs des travaux, cette conclusion est importante, à notre époque, alors que nous devons nous préparer aux futurs impacts des changements climatiques.
Marilyn Masson, archéologue et professeure au département d’anthropologie de l’Université d’Albany, a collaboré avec une équipe d’experts et examiné des documents historiques pour y trouver des preuves de violences, en plus d’analyser des restes humains datant de cette époque et de cette région, pour y découvrir des signes de blessures traumatiques.
Mme Masson précise que son équipe et elle-même ont trouvé des fosses communes peu profondes et des preuves de massacres brutaux devant des structures monumentales à travers la ville.
« Certains corps ont été enterrés avec des couteaux dans leur pelvis et cage thoracique, et d’autres restes squelettiques ont été découpés et brûlés », a-t-elle mentionné. « Non seulement ont-ils brisé et brûlé les corps, mais ils ont aussi cassé et brûlé les effigies de leurs dieux. C’est une sorte de double profanation, en quelque sorte. »
Une tuerie… bien avant la fin
Mais ces découvertes macabres n’étaient pas les aspects les plus impressionnants, aux yeux des chercheurs.
Il faut plutôt s’intéresser au moment où Douglas Kennett, principal auteur des travaux et membres du département d’anthropologie de l’Université de la Californie à Santa Barbara, a daté les squelettes retrouvés à l’aide d’une technique de spectrométrie de masse, c’est-à-dire une version avancée de la datation au carbone, et a révélé que ces restes dataient de 50 à 100 ans avant la chute de la ville, vers le milieu du 15e siècle.
« Nous avons alors commencé à nous interroger, à chercher pourquoi cela s’était produit. Parce que nous étions devant un cas où l’archéologie révèle quelque chose qui n’est pas raconté dans les écrits historiques », souligne Mme Masson.
Il existe de nombreux documents et preuves ethnohistoriques pour étayer la thèse de la chute violente de la ville, ainsi que son abandon, vers 1458, a poursuivi la chercheuse. Mais les nouvelles preuves d’un massacre, survenu jusqu’à un siècle auparavant, combinées à des données climatiques qui ont permis d’établir que la région avait subi des sécheresses prolongées vers cette même époque, ont mené l’équipe à émettre l’hypothèse que des facteurs environnementaux auraient pu jouer un rôle.
Des scientifiques du climat ont pu calculer le volume annuel des précipitations durant cette période, en utilisant une technique de datation qui s’appuie sur les dépôts de calcite, un minerai, dans les cavernes avoisinantes, et ont découvert des indications selon lesquelles le 14e siècle avait été particulièrement sec. De façon encore plus précise, les chercheurs ont constaté qu’il existait un lien solide entre une période de sécheresse et un déclin substantiel de la population, entre 1350 et 1430.
« Ce n’est pas que les sécheresses ont provoqué des conflits sociaux, mais elles ont créé les conditions en vertu desquelles la violence peut éclater », poursuit Mme Masson.
Un outil pour les rivaux
Les auteurs des travaux laissent entendre que les Xiu, qui ont lancé les ultimes attaques contre les Cocom, qui se sont avérées fatales pour cette famille dirigeante, ont utilisé les sécheresses et les famines qui ont suivi pour fomenter des troubles et une rébellion qui ont mené à de nombreuses morts, en plus d’entraîner un exode de Mayas durant les années 1300.
« Je crois que la leçon est que les difficultés peuvent être politisées de la pire des façons », a déclaré Mme Masson. « Cela vient créer des opportunités pour favoriser la cruauté et faire en sorte que les gens s’entre-déchirent violemment. »
À la suite de cette période de sécheresse et d’incertitude, cependant, la ville semble avoir brièvement retrouvé sa stabilité, avec l’aide de fortes pluies vers l’an 1400, écrivent les auteurs.
« Les habitants de Mayapan ont pu se remettre sur pied avant le retour des sécheresses vers les années 1420, mais c’était trop tôt », souligne Mme Masson. « Ils n’ont pas eu assez de temps pour se stabiliser, les tensions étaient toujours là, et le gouvernement de la ville n’a simplement pas pu survivre à une nouvelle période de troubles. Mais il a quasiment réussi à le faire. »
Alors que l’insécurité alimentaire, les troubles sociaux et les migrations alimentées par les sécheresses continuent de susciter de grandes inquiétudes, dans certaines parties du monde, Mme Masson estime qu’il est possible de tirer des leçons à partir des façons dont d’autres empires ont traversé des crises environnementales.
Les Aztèques, par exemple, ont survécu à l’infâme « famine du seul lapin », qui avait été alimentée par une sécheresse catastrophique en 1454. L’empereur a vidé les greniers pour nourrir les citoyens et lorsque les stocks ont été épuisés, il les a encouragés à fuir, a rappelé Mme Masson.
Plusieurs habitants se sont vendus comme esclaves, sur la côte du golfe du Mexique, où les conditions étaient meilleures, mais ont éventuellement racheté leur liberté, sont revenus dans la capitale, et l’empire était plus fort qu’il ne l’avait jamais été.
Cette stratégie appliquée par le régime impérial aztèque est sans doute ce qui a permis à cette civilisation de se rétablir, croit Mme Masson.
« Au final, nous affirmons que les réponses humaines à la sécheresse sur la péninsule du Yucatan… étaient complexes », conclut l’étude. « D’un côté, la sécheresse a alimenté les tensions et les conflits et l’échec institutionnel à Mayapan. Cependant, même après la chute de la ville, malgré la décentralisation, les problèmes de mobilité, les impacts commerciaux temporaires et la poursuite des conflits militaires, un réseau résilient de petits États mayas a survécu, jusqu’au contact avec les Européens au 16e siècle. Ces complexités sont importantes, alors que nous tentons d’évaluer la réussite ou l’échec potentiel des institutions étatiques contemporaines conçus pour maintenir l’ordre et la paix, le tout dans une perspective de futurs changements climatiques. »