Plus le nombre d’esclaves était important, dans un comté américain, en 1860, plus on trouve d’armes chez les résidents du même endroit, de nos jours. Voici ce qui ressort d’une nouvelle analyse visant à déterminer pourquoi les armes à feu, chez l’Oncle Sam, sont perçues de façon si différente qu’ailleurs dans le monde.
Les chercheurs, associés à l’Université du Wisconsin, à Madison, rappellent que plus de 45 % de toutes les armes à feu possédées par des civils, sur la planète, se trouvent aux États-Unis, qui ne comptent que 5 % de la population mondiale.
Cette disparité pourrait avoir quelque chose à voir avec la façon dont la majorité des Américains propriétaires d’armes considèrent le fait de posséder un pistolet, un fusil, ou un tromblon.
« La possession d’armes à feu est un cas où l’exceptionnalisme américain est véridique », mentionne Nick Buttrick, professeur de psychologie. « Nous sommes vraiment radicalement différents d’autres pays, même comme le Canada et l’Australie, qui ont pourtant des racines culturelles similaires. »
Selon des coups de sonde du Pew Research Center, les deux tiers des Américains propriétaires d’armes affirment que c’est une façon d’assurer leur sécurité, tandis que dans d’autres pays, les citoyens sont davantage nombreux à croire que la présence d’une arme à feu augmente le risque auquel ils sont soumis et met leur vie en danger, en raison, notamment, de très hauts taux d’homicides et de suicides dans les ménages possédant des armes.
Des spécialistes de la culture des armes ont également exploré le rôle de l’appartenance raciale dans le contexte de la culture américaine des armes à feu, et ce, depuis un certain moment, déjà, mentionne M. Buttrick, et les deux pourraient liés.
Dans une étude récemment publiée dans PNAS Nexus, M. Buttrick et sa coautrice, Jessica Mazen, décrivent la transformation du sentiment à propos des armes, alors qu’avant la Guerre civile, celles-ci étaient considérées comme des outils pour la chasse et le sport.
Dans le sud des États-Unis, après la guerre, l’idée qu’une arme était nécessaire pour protéger sa famille, sa propriété et un mode de vie a gagné des adeptes chez les habitants de la région. Cela a été alimenté par un flot d’armes militaires, l’apparition d’organisation suprématistes blanches armées comme le Ku Klux Klan, ainsi que la rhétorique, avancée par des élites, selon laquelle les gouvernements responsables de la reconstruction de la société ne protégeraient pas les intérêts des habitants du sud face aux Noirs récemment libérés et disposant d’un pouvoir politique.
Les chercheurs ont comparé les niveaux de population liés au recensement de 1860 aux tendances contemporaines en matière de possession d’armes à feu. Puisqu’il n’existe pas de registre national de possession d’armes, l’étude s’appuie sur la proportion de suicides, dans un comté, qui impliquait une arme à feu, selon des données appartenant aux Centres de contrôle et de prévention des maladies, pour la période allant de 1999 à 2016.
« Ce que nous voyons, c’est qu’il existe une forte corrélation entre le nombre d’esclaves dans un comté, en 1860 et le nombre d’armes possédées aujourd’hui, même après avoir tenu compte de variables comme les points de vue personnels en matière de politique, le taux de criminalité, l’éducation et le revenu », indique M. Buttrick.
Cette corrélation est demeurée importante même lorsque les chercheurs ne se sont intéressés qu’aux Blancs possédant des armes, en modifiant leurs données sur les suicides par armes à feu pour n’examiner que les victimes blanches non hispaniques.
Insécurité et armes à feu
L’étude permet par ailleurs de mettre de l’avant une origine spécifiquement sudiste pour la croyance américaine voulant que des armes à feu permettent de protéger les habitants.
« L’ampleur de l’insécurité des gens prédit la possession d’armes uniquement dans des comtés du Sud, où plus les citoyens craignent pour leur sécurité, plus ils ont de chances d’être des propriétaires d’armes à feu. Si vous examinez des régions où l’on ne recensait pas d’esclaves, en 1860, si les habitants contemporains ont peur, cela ne permet pas de prédire le taux de possession d’armes à feu, aujourd’hui », mentionne encore M. Buttrick.
Par ailleurs, les régions du Nord et de l’Ouest américains où l’on trouve plus d’armes, aujourd’hui, comptent des résidents qui sont davantage portés à avoir des amis, sur le réseau social Facebook, qui vivent dans des zones du Sud ayant un historique de possession d’esclaves. Dans ces régions, à l’instar du Sud, le fait de craindre pour sa sécurité a de meilleures chances d’être un bon indicateur du taux de possession d’armes à feu.
Aux yeux des chercheurs, cela laisse entendre qu’il s’agit de la transmission sociale des idées à propos des armes.
« La question est de savoir comment ces idées à propos des armes à feu se disséminent dans le reste du pays », indique M. Buttrick. « À mesure que les gens déménagent, ils transportent avec eux la culture qui les a formés. Nous pouvons voir ce qu’il reste de ces déplacements et des connexions toujours existantes avec la famille et la communauté dans les relations sur les médias sociaux, et cela correspond aux tendances liant l’esclavage et la possession d’armes à feu. »
Toujours au dire de M. Buttrick, les résultats des travaux « aident à éclaircir certaines tendances, notamment pourquoi la question raciale et la possession d’armes sont si étroitement liées. Et pourquoi les armes sont si présentes dans les réflexions et les discussions, chez les Blancs, mais pas chez les Noirs? Et cela nous permet aussi de comprendre pourquoi l’idée d’avoir une arme pour se protéger est si populaire, aux États-Unis, mais pas ailleurs dans le monde ».