Les deux plus récents cycles électoraux, aux États-Unis, ont permis de constater une très forte croissance de l’attention consacrée aux « chambres d’écho », ces communautés où les opinions partagées, largement similaires, font en sorte que les gens qui en sont membres sont moins à risque de remettre leurs propres points de vue en question. Pour un groupe de chercheurs, toutefois, c’est la télévision qui est principalement à blâmer, et non pas Twitter ou Facebook.
Cette vision des choses, reconnaît Homa Hosseinmardi, va à l’encontre des inquiétudes à propos de la croissance de l’influence des médias sociaux, qui ont profondément transformé le paysage médiatique et la façon dont l’information est transmise.
Pourtant, indique le chercheur, lorsque des scientifiques se penchent sur les chambres d’écho au sein des médias sociaux, « ils trouvent bien peu de preuves que ces chambres existent à grande échelle », ou, du moins, « à une échelle suffisante pour justifier les craintes à leur sujet ».
« Malgré tout, reconnaît M. Hosseinmardi, l’exposition sélective à des nouvelles accroît bel et bien la polarisation. Cela suggère que les précédents travaux de recherche ont raté une partie du portrait de la consommation d’informations, aux États-Unis. De fait, ils n’ont pas tenu compte d’une composante importante : la télévision. »
En compagnie de chercheurs de l’Université Stanford, de l’Université de la Pennsylvanie et de chez Microsoft Research, M. Hosseinmardi mentionne avoir observé les habitudes de consommation de nouvelles télévisées chez des dizaines de milliers d’adultes américains, sur une base mensuelle, entre 2016 et la fin de 2019. Le spécialiste dit avoir découvert quatre aspects de la consommation de nouvelles qui, lorsqu’ils sont combinés, dépeignent un portrait « dérangeant » de l’écosystème télévisuel.
La télé supplante le web
L’équipe de recherche a d’abord mesuré à quel point les Américains consommateurs de nouvelles se retrouvent politiquement « placés en silos », par rapport aux chaînes de nouvelles et les réseaux sociaux en ligne. En moyenne, sur la durée de la période d’observation, les chercheurs affirment avoir découvert qu’environ 17 % des Américains étaient politiquement polarisés, le tout à part relativement égales (8, 7 % à gauche et 8,4 % à droite), en fonction de leur consommation de nouvelles télévisées. Il s’agit, affirme M. Hosseinmardi, « d’un taux de trois à quatre fois plus important que le pourcentage moyen d’Américains polarisés par les nouvelles en ligne ».
De plus, ce pourcentage lié à la télévision a atteint un pic de 23 %, en novembre 2016, le même mois où Donald Trump a été élu président des États-Unis.
Un autre pic s’est produit quelques mois avant décembre de l’année 2018, après la « vague bleue » des élections de mi-mandat, lors de laquelle un nombre record de publicités électorales démocrates ont été diffusées à la télévision, mentionne le chercheur.
« Le moment où ces deux pics sont survenus laisse croire qu’il existe une connexion forte entre le choix des contenus et les événements qui se déroulent dans l’arène politique », indique M. Hosseinmardi.
Demeurer dans sa chambre d’écho télévisée
En plus de vivre davantage dans des silos politiques, les travaux de recherche ont aussi permis d’établir que les consommateurs de nouvelles télévisées étaient bien plus portés que les internautes à conserver le même régime journalistique partisan, sur une longue période : « Après six mois, les téléspectateurs de gauche étaient 10 fois plus à risque de demeurer dans ce camp que les internautes de gauche, alors que cette probabilité était de 4,5 fois plus importante chez les téléspectateurs de droite que leurs homologues en ligne. »
Cependant, il importe de rappeler, écrivent M. Hosseinmardi et ses collègues, que même chez les téléspectateurs, environ 70 % des partisans de la droite et 80 % des tenants de la gauche finissent par changer leur régime médiatique dans les six mois. « De fait, si tant est que les chambres d’écho à long terme existent, elles ne regroupent que 4 % de la population », lit-on dans l’étude.
Autre constatation : les téléspectateurs polarisés ont tendance à rarement s’éloigner de leurs chaînes de prédilection. Ainsi, une personne écoutant surtout MSNBC, chaîne plus à gauche, consommera rarement des nouvelles provenant d’ailleurs que cette source, ou de CNN.
Chez la droite, si l’on écoute Fox News, on ira très rarement au-delà du réseau de l’empire Murdoch.
« Tout cela est en contraste flagrant avec les nouvelles en ligne, où les internautes reçoivent malgré tout de grandes quantités d’informations de la part de médias autres que leur source principale », mentionnent les chercheurs.
Fuite et partisanerie
Qu’est-ce qui expliquerait cette partisanerie télévisuelle? Selon M. Hosseinmardi, il faut tenir compte du fait que l’audimat des chaînes télévisées diminue depuis des années, déjà. Mais ce sont les clientèles plus centristes qui cessent d’aller chercher leurs nouvelles sur les chaînes câblées, plutôt que ceux qui sont partisans de la gauche ou de la droite.
Par ailleurs, parmi le public qui reste fidèle au petit écran, on passe peu à peu des chaînes généralistes, comme ABC, CBS, etc., aux chaînes câblées spécialisées comme MSNBC et Fox.
Mis ensemble, ces indicateurs dévoilent une tendance étrange : l’audimat baisse, mais le public partisan, lui, prend de l’ampleur. Cela, à son tour, encourage la production de nouvelles partisanes.
Devant un tel phénomène, les chercheurs affirment que le fait de demeurer enfermé dans un silo partisan, et donc ne pas être exposé à des nouvelles offrant un nouveau point de vue, peut aller jusqu’à mettre en danger la démocratie.
« Si la majorité des Américains consomment encore des nouvelles provenant de diverses sources relativement équilibrées, le fait que les publics des chaînes câblées partisanes écoutent davantage les nouvelles que l’ensemble du public en ligne signifie qu’il faudrait porter davantage attention à cette partie en forte croissance et toujours plus polarisée de l’écosystème médiatique », concluent-ils.