Lire Dream Data, une bande dessinée de Damian Bradfield et David Sanchez traduite en français et publiée aux éditions Presque lune, relève à la fois de l’humour noir et de la dystopie terrifiante. Un mélange dont on se serait à la fois bien passé, en ces temps déjà épuisants, mais qui est aussi – justement – particulièrement nécessaire.
D’abord, on se dit que la caricature est un peu grossière : le géant du commerce en ligne se nomme Amazin, plutôt qu’Amazon, par exemple. On évoque également la collecte sauvage de données, où les entreprises savent très bien que leurs clients sont le produit, un produit destiné à être espionné jour et nuit, pour nourrir par la suite d’autres compagnies qui voudront, à leur tour, nous vendre produits et services.
Et pourtant, si l’on pensait que le gag était un peu trop évident, un bref détour sur internet nous convainc qu’au contraire, les deux bédéistes jouent dans la subtilité. Après tout, n’a-t-on pas récemment entendu parler d’un fabricant de voitures qui offrait un forfait mensuel pour utiliser les sièges chauffants de son véhicule de luxe? Et Amazon, qui se défend d’être un empire aux visées malveillantes, a récemment mis la main sur iRobot, la compagnie qui commercialise l’aspirateur robot Roomba, ce même aspirateur qui cartographie l’intérieur de votre domicile?
Et Amazon, ce même Amazon, qui vient d’annoncer que sa technologie de paiement par empreintes palmaires serait déployée dans plusieurs succursales de sa franchise Wholefoods, ce qui implique le fait de recueillir et stocker les empreintes de ses clients, en plus de tout le reste.
Ultimement, quel espace reste-t-il pour imaginer le pire? Pour se permettre de rire? Rire jaune, certes, mais rire tout de même?
Dream Data incarne le meilleur, en un sens, et le pire de ce monde où toutes nos informations sont recueillies, de gré ou de force, pour ensuite être vendues aux plus offrants. MM. Bradfield et Sanchez nous montrent l’horreur de notre monde contemporain, à l’instar de Black Mirror, par exemple, quand la série était encore pertinente, mais nous révèlent également qu’il existe un monde à l’extérieur de cette dystopie plus que malsaine. Et c’est cet autre monde vers lequel nous devons migrer, dès que possible.