Si, comme moi, vous trouvez que l’humour est généralement trop sage et souhaitez quelque chose d’un peu plus mordant, vous rirez aux éclats avec le Fun Girl d’Elizabeth Pich, et les mésaventures déjantées de son personnage principal.
Connue seulement par son sobriquet, Fun Girl n’est définitivement pas une héroïne de bande dessinée comme les autres. Dépourvue de toute ambition, la jeune femme passe le plus clair de son temps à traîner en sous-vêtements, et à regarder des épisodes des Golden Girls. La masturbation est son passe-temps favori, et la seule relation intime qu’elle soit capable de soutenir est avec une pizza quatre fromages. Imbue d’elle-même et plutôt égocentrique, elle possède un talent unique pour tourner en bourrique les rares personnes de son entourage, qu’il s’agisse de Becky, sa colocataire et ancienne amante, de Peter, le copain de cette dernière, ou d’Adam, son patron au magasin de pompes funèbres où elle travaille.

Bien que la bande dessinée se soit affranchie depuis des décennies de la conception selon laquelle le médium s’adresse uniquement à un jeune public, peu de créateurs osent signer des livres résolument adultes, et c’est l’un des grands plaisirs que procure Fun Girl, un album politiquement incorrect qui ne s’adresse définitivement pas aux gens s’offusquant facilement. Dans cette première œuvre solo, l’auteure et scénariste Elizabeth Pich se révèle comme l’héritière des Robert Crumb, Gilbert Shelton et Trina Robbins, des artistes emblématiques des « comix » underground américains des années 1960 et 1970 qui utilisaient pleinement leur liberté créative pour produire des BD en-dehors des normes du Comics Code Authority.
Fun Girl présente une série de courts épisodes, entre une et quatre pages chacun, dépeignant la vie quotidienne de cette jeune femme bien de son temps. On la voit se promener nue dans l’appartement qu’elle partage avec Becky, vêtue seulement d’un gode ceinture. Elle se cache dans un cercueil au travail et fait fuir les clients potentiels en sortant comme un diable en boîte et en criant « Bouh! ». Elle attaque un groupe de jeunes étudiants en leur balançant à la figure le sang menstruel accumulé dans son Keeper. Loin d’être gratuit, l’humour trash est utilisé ici pour se moquer des critères de beauté imposés aux femmes, des relations amoureuses hétéronormatives, de l’éjaculation féminine, du mansplaining, et même de la nécrophilie.

Simples et naïfs, les dessins d’Elizabeth Pich évoquent le style visuel de la série Adventure Time, avec laquelle Fun Girl partage le même côté étrange. Personnages arrondis dépourvus de bouche ou de nez, aplats de couleurs sans dégradés, les illustrations donnent un aspect bon enfant à l’ensemble, qui vient contrebalancer son humour grinçant. Pich parsème ses décors de petits objets rigolos, comme une tête de mort, une bouteille d’alcool, ou un godemichet. De sa couverture rappelant Snoopy couché sur le toit de sa niche en passant par une parodie de l’affiche du film Wayne’s World ou un clin d’œil à la toile La persistance de la mémoire de Dali ou à La naissance de Vénus de Botticelli, l’artiste multiplie les références à la culture populaire à travers ses planches.
N’ayant pas peur de défier les convenances avec son humour décapant, Fun Girl est un pur bijou de bande dessinée, qui plaira assurément aux adultes avertis. Après cette première œuvre hilarante, on a bien hâte de voir ce qu’Elizabeth Pich nous prépare pour la suite.
Fun Girl, d’Elizabeth Pich. Publié aux éditions Les Requins Marteaux, 260 pages.