Même s’il semble que les Américains sont scotchés à leur téléphone, des études ont démontré que la majorité d’entre eux vont toujours chercher leurs nouvelles à la télévision. Au début de 2020, l’Américain moyen écoutait environ neuf heures et demie de nouvelles télévisées par semaine, selon la firme Nielsen. De nouveaux travaux révèlent que depuis l’élection de Donald Trump, en 2016, les trois principales chaînes d’information câblées se sont éloignées les unes des autres, MSNBC et CNN penchant vers la gauche, alors que Fox News s’est résolument dirigée vers la droite.
Selon Yphtach Lelkes, professeur associé à l’Université de Pennsylvanie et coauteur de l’étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, « il y a toujours eu cette idée que le biais médiatique était largement statique ». « En gros, que « Fox News est à droite et MSNBC est à gauche ». Mais nous avons constaté que ce portrait change, et assez rapidement. »
M. Lelkes et ses collègues se sont concentrés sur l’une des formes de biais médiatique : le biais de visibilité. Par exemple, si la majorité des invités d’une chaîne de nouvelles sont considérés comme des « libéraux », alors la chaîne sera vue comme libérale. Les chercheurs ont analysé des milliers d’heures de CNN, de Fox et de MSNBC pour évaluer « l’orientation politique » des invités qui sont passés à l’écran lors des émissions d’information sur ces chaînes, pendant au moins 10 heures, au total, entre janvier 2010 et août 2020.
Chacun des invités s’est vu attribuer un score de biais médiatique en fonction de leurs contributions financières à des candidats et des organisations politiques, tel que constaté dans une base de données de l’Université Stanford.
« Si quelqu’un fait un don à Ted Cruz et à Donald Trump, il obtient un score de biais médiatique en fonction de leurs contributions financières à des candidats politiques et des organisations considérés comme étant plus conservateurs », a dit M. Lelkes.
« Et s’ils donnent à Barack Obama et Hillary Clinton, ils sont plus libéraux. Alors lorsque nous identifions les gens à l’écran, nous pouvons aussi identifier leur idéologie. »
En utilisant ces classements comme preuves, l’équipe de recherche a confirmé qu’au cours de la dernière décennie, Fox s’est déplacée vers la droite, tandis que CNN et MSNBC ont bougé vers la gauche du spectre politique. De façon plus spécifique, le point d’inflexion de ces trois chaînes, à partir duquel le fossé s’est largement creusé, est l’élection présidentielle de 2016.
« Pendant plusieurs années, Fox News était à droite de MSNBC et de CNN », mentionne M. Lelkes. « Mais les chaînes avaient l’habitude de se suivre. Lorsque Fox News allait vers la droite, MSNBC et CNN faisaient de même. Après l’arrivée de Trump au pouvoir, elles ont répondu aux événements dans les nouvelles en s’éloignant les unes des autres, et de façon plus marquée, vers leur idéologie respective. »
L’audimat, le nerf de la guerre
De façon intéressante, ce fossé est davantage marqué lorsque les émissions sont diffusées à heure de grande écoute. Comparativement à d’autres émissions sur les différents réseaux, des émissions de « prime time » comme Anderson Cooper 360, sur CNN, et The Rachel Maddow Show, sur MSNBC, penchent plus à gauche, tandis que Tucker Carlson Tonight, sur Fox, penche vraiment plus vers la droite.
« Nous n’avons pas vraiment remarqué de polarisation dramatique pour les émissions de matinée et d’après-midi », indique encore M. Lelkes. « Il s’agit d’émissions tournant davantage autour des hard news, qui s’appuient plus sur des faits. »
Une autre étude récente publiée dans Science Advances s’est aussi penchée sur la partisanerie des nouvelles télévisées en se concentrant sur l’orientation politique des téléspectateurs. Ces travaux ont révélé que les Américains qui obtiennent leurs nouvelles à la télévision, plutôt qu’en ligne, ont bien plus de chances de regarder des chaînes qui correspondent à leur propre idéologie, et sont moins à risque de sortir de leur bulle partisane.
Combinées, les deux études mettent de l’avant un portrait inquiétant indiquant que les audimats partisans sont en croissance, en lien avec les chaînes d’information câblées, tandis que ces mêmes chaînes sont devenues plus extrêmes.
Les conclusions de M. Lelkes soulèvent des questions supplémentaires pour les chercheurs : les bonnes cotes d’écoute d’une émission poussent-elles un réseau entier à modifier son orientation idéologique? Les boycotts du public affectent-ils l’idéologie d’une chaîne d’information? Le fossé idéologique entre les chaînes finira-t-il par se combler, ou ne fera-t-il que prendre de l’expansion?