Si personne ne peut dire de quelle façon évoluera la variole du singe dans les prochains mois, une chose fait de plus en plus consensus : les différents gouvernements concernés ont manqué le bateau.
Avec désormais 14 000 cas recensés depuis le mois de mai — et la possibilité, si la tendance exponentielle se maintient, d’atteindre 100 000 cas en août — il est clair que l’épidémie a échappé à tout contrôle dans plusieurs pays. Pas assez d’efforts de dépistage, de traçage des contacts ou de vaccination des groupes vulnérables. IMAGE
Plusieurs des experts interrogés par la journaliste Helen Branswell cette semaine ne croient pas que le virus puisse être contenu. Cette possibilité « diminue de jour en jour », juge Anne Rimoin, experte de la variole simienne à l’Université de Californie. « C’est vraiment malheureux, parce que nous avons les outils. Ce n’est pas un virus inconnu. » L’article donne aussi la parole au directeur de la coalition nationale des cliniques de dépistage des maladies transmissibles sexuellement, qui semble s’être d’ores et déjà fait à l’idée que le virus est voué à rester, comme l’a été, jadis, le virus responsable du sida.
Aux États-Unis, la réponse a été « largement inadéquate », commentaient d’autres experts le 14 juillet dans le Scientific American. Dans un texte d’opinion publié dès le 24 juin dans le magazine The Atlantic, Monica Gandhi, professeure de médecine à l’Université de Californie, prévenait que « le feu était déjà pris ».
Une situation attentiste qui n’est pas sans évoquer les premiers mois de la COVID, soit cette période située entre janvier et mars 2020. Pendant ces deux mois, rappelle Keletso Makofane, épidémiologiste au Centre pour la santé et les droits humains de l’Université Harvard, la plupart des pays avaient regardé l’épidémie avancer, sans s’y préparer réellement. Cette fois au moins, avec la variole du singe, « ils auraient dû savoir », sur la base des signaux d’alarme qu’ils n’ont pas su écouter en 2020. « En ne déclenchant pas immédiatement du dépistage, nous avons manqué une importante fenêtre d’opportunité pour contrôler cette épidémie ou, au moins, alerter les gens. »
Une modélisation mathématique publiée le 8 juillet par le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies estimait que l’épidémie pourrait être contenue si 90% des personnes diagnostiquées étaient isolées pendant quelques jours, si le traçage pouvait identifier la moitié de leurs contacts réguliers et si, dans ce contexte, 80% des personnes qui se faisaient offrir un vaccin le prenaient.
Vieux virus, soudaine apparition
Connue depuis des décennies dans une dizaine de pays africains, la variole du singe, ou variole simienne —qui se transmet par des rongeurs et non des singes— n’avait été signalée que de façon sporadique en-dehors d’Afrique. C’est en mai dernier que, soudain, lorsque la Grande-Bretagne s’est mise à détecter plusieurs cas en l’espace de quelques jours. Aujourd’hui, plus de 60 pays ont signalé au moins un cas et dans plusieurs de ces pays, il est possible que le virus puisse déjà être considérée comme endémique —c’est-à-dire présent de façon permanente— comme il l’était déjà dans 11 pays africains.
Mais la vitesse à laquelle il se répand fait craindre qu’il ait acquis des mutations qui le rendent plus apte à se transmettre entre humains (plutôt que juste d’un animal à un humain). C’est ce que suggère une étude parue le 24 juin dans Nature Medicine, qui a identifié une cinquantaine de mutations en seulement quatre ans, entre la lignée identifiée au Nigéria en 2018-2019 et celle d’aujourd’hui. Rien dans cette étude ne permet d’affirmer si une ou plusieurs de ces mutations sont responsables de l’actuelle épidémie: c’est un travail de détective qui pourrait prendre des années, souligne le Scientific American. Mais c’est un taux de mutations rapide pour ce virus.
S’il s’avérait qu’il soit bel et bien davantage capable de circuler entre les humains, il serait également possible que cette mutation soit survenue n’importe quand entre 2018 et maintenant, mais qu’elle ne soit jamais apparue sur les écrans radar, parce qu’un virus cantonné à l’Afrique suscitait, jusqu’en mai dernier, peu d’intérêt.
Mais si c’est bel et bien le cas, il sera à présent encore plus difficile à contenir, à la vitesse où il se répand.
La bonne nouvelle reste que, pour l’instant, il ne semble pas plus virulent que la lignée ouest-africaine, sa plus proche cousine. Et comme il nécessite des contacts directs et rapprochés, il se répand plus difficilement que le SRAS-CoV2.
En théorie, l’Organisation mondiale de la santé pourrait hausser son niveau actuel d’alerte à « urgence de santé de portée internationale » — qui est, dans son jargon, le niveau de risque le plus élevé. Mais ce haut niveau d’alerte avait aussi été atteint avec la COVID dès le 30 janvier 2020, ce qui n’avait pas empêché la plupart des pays d’attendre un mois et demi avant de prendre des mesures sanitaires.