La chute de notre civilisation et le monde qui naîtra de ses ruines est un sujet de prédilection des œuvres de science-fiction, et c’est au tour de l’illustrateur et scénariste Jaouen Salaün de s’y attaquer avec la série Elecboy, qui pose un regard unique sur un thème pourtant surexploité.
Elecboy prend place exactement un siècle dans le futur, en 2122, sur une Terre postapocalyptique où la civilisation telle qu’on la connaît s’est complètement effondrée. Le personnage principal, un adolescent du nom de Joshua, habite quelque part dans l’Ouest américain, à Redsalt Canyon, une enclave regroupant un millier de survivants sous son dôme magnétique et dirigée d’une main de fer par un clan des Premières Nations. Le jeune homme se demande ce qu’il y a au loin, là où le sol rejoint le ciel, et rêve de quitter ce bidonville aux allures de prison, mais son père le met régulièrement en garde contre les dangers du monde extérieur, où rôdent des machines meurtrières.

Le premier tome d’Elecboy, intitulé Naissance, introduit un avenir peu reluisant, sans jamais expliquer de manière claire ce qui a causé la chute du monde civilisé et transformé la planète entière en désert aride. Dirigées depuis un satellite orbitant autour de la Terre par une entité nommée Zehus, des androïdes munis d’une intelligence artificielle écument le globe, dans le but manifeste d’éradiquer les rares humains encore en vie. Le père de Joshua est un « puiseur » chargé de ramener de l’eau à Redsalt Canyon. Sa tâche se complique lorsque la centrale hydraulique de Fort Drioland, par où passe tout le réseau, tombe en panne sans crier gare un beau jour. Combien de temps pourra survivre la communauté sans le précieux liquide?
Un vagabond accompagné d’un géant nommé Azul débarque à Redsalt Canyon dans Révélations, le deuxième tome de la série. L’énigmatique homme cherche à s’entretenir avec les dirigeants de l’enclave, sous prétexte qu’il possède des informations importantes. Il leur prédit alors l’arrivée imminente d’un homme sans visage, qui viendra en aide à ce qu’il reste de l’humanité, mais évidemment, personne ne le croit. Persécuté par Sylvio, le petit-fils du grand chef de la cité, Joshua se découvre subitement des pouvoirs surnaturels. Il en apprendra davantage sur ses origines et le sacrifice de ses parents d’adoption, avant que l’album ne se termine sur une révélation percutante, qui change en profondeur la nature même du récit.

En raison de son monde dystopique, de ses environnements désertiques et de ses voitures rafistolées avec des pièces trouvées dans les ruines de la civilisation, on serait tenté de comparer l’univers d’Elecboy à celui de Mad Max, même si les survivants ne s’y battent pas pour du pétrole, mais bien de l’eau. Toutefois, puisque la série de Jaouen Salaün utilise l’Ouest américain comme décor et accorde une place prédominante aux membres des Premières Nations, on a beaucoup plus l’impression d’être en présence d’une sorte de western postapocalyptique, contenant un mélange fort intéressant de primitivisme et de futurisme.
Il y a une belle ironie dans Elecboy, alors que les rôles traditionnels sont complètement inversés. Dans un monde où la civilisation occidentale n’est plus qu’un lointain souvenir, les Autochtones, plus près de la nature, se sont beaucoup mieux adaptés que les Blancs, et après s’être fait voler leur territoire et leur culture durant des siècles, ils sont désormais à la tête de la cité de Redsalt Canyon, et décident à qui accorder leur protection. Ils sont toutefois corrompus par ce pouvoir, puisqu’ils kidnappent les filles des habitants pour en faire des « nourricières » afin de perpétuer leur race, et celles qui refusent de participer aux rites sauvages de reproduction se voient expulser du refuge avec leurs familles.

Il est difficile de ne pas tomber sous le charme des images ultraréalistes et léchées de Jaouen Salaün dans Elecboy. On retrouve une grande finesse dans les crayonnages et l’encrage de ses dessins. Poils de barbe, visages parcheminés, taches de rousseur, gouttes de sueur perlant sur les fronts, veines saillant sur les bras, trous de mites dans les t-shirts, écailles des lézards, rouille sur toits de tôle, il accorde une attention particulière aux détails dans toutes ses illustrations, ce qui rend son travail graphique riche et vivant. En plus de ses splendides paysages de l’Ouest américain et de ses cités en ruines, sa mise en couleur nous fait sentir la chaleur accablante plombant chaque décor. Visuellement, la série est d’une beauté à couper le souffle.
Alors que la météo ne cesse de briser des records de chaleur année après année, la vision du futur imaginée par Elecboy est peu enviable, mais malheureusement crédible. Avec son croisement entre Terminator, Mad Max et un vieux western, les amateurs de science-fiction se délecteront de cette saga de fin du monde, dont deux autres tomes sont encore prévus.
Elecboy – Tome 1 : Naissance, de Jaouen Salaün. Publié aux éditions Dargaud, 64 pages.
Elecboy – Tome 2 : Révélations, de Jaouen Salaün. Publié aux éditions Dargaud, 64 pages.