Il y aurait eu plus de 10 000 articles à travers le monde sur les impacts de la pandémie sur les enfants. Mais un grand nombre sont passés à côté des problèmes qui ont surgi pendant cette pandémie, regrette Sylvana Côté, directrice de l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants (OPES), à Université de Montréal.
« On dit qu’il faut un village pour élever un enfant mais le village a été déserté. Les moments difficiles se sont multipliés, des pertes scolaires aux problèmes de santé mentale. C’est pourquoi construire des données pour suivre le développement des enfants jusqu’à leur majorité et documenter les actions atténuant les facteurs de risque, c’est important. » Mme Côté intervenait dans le cadre d’une conférence internationale intitulée Quels sont les impacts de la pandémie sur les enfants?, organisée récemment par l’OPES.
Tout débute à l’école. Carla Haelermans, professeure en économie de l’éducation à l’Université Maastricht, aux Pays-Bas, s’est donc intéressée à la fermeture des classes et à son impact sur les jeunes. « Près de 168 millions d’enfants à travers le monde se sont retrouvés à la maison pour apprendre. Les fermetures de classes à répétition et l’école en ligne ont eu de nombreux effets négatifs sur l’apprentissage des enfants », soutient la chercheuse.
Sa récente étude révèle en effet que l’école à la maison, aux Pays-Bas, a entrainé de nombreuses pertes d’apprentissages en lecture, orthographe et mathématiques, particulièrement chez les plus vulnérables.
Pour prendre le pouls de ces perturbations, les chercheurs ont mené deux tests standardisés auprès de 300 000 élèves du primaire en mars 2021 et en février 2022 – des tests qui se tiennent normalement six semaines plus tôt pour évaluer les apprentissages. Ils ont comparé avec des résultats recueillis à trois reprises avant la Covid (2017, 2019 et 2020). Ils ont constaté, par exemple, une baisse de 7 points en maths et en orthographe en 2021 – et en maths, c’est pire en 2022, alors que pour l’orthographe, les pertes de la première année semblent s’être estompées lors de la deuxième année.
Mais ce n’est pas pareil pour tout le monde. Les résultats montrent d’importantes inégalités en matière de pertes d’apprentissages, fondées sur l’éducation des parents et leur revenu, en plus des inégalités déjà existantes avant la Covid-19, constate Carla Haelermans. « Il y a eu des pertes pour tous les groupes d’élèves mais cela a été pire pour ceux dont les parents sont plus défavorisés. Les stratégies mises en place n’ont pas pu rattraper le retard et cela va prendre beaucoup de temps pour rattraper ce qui a été perdu. »
L’absence de rattrapage en maths en février 2022, mais également dans certains autres apprentissages, a été une surprise pour elle, car si le recul était attendu pour la première année, il l’était moins pour la deuxième. « Il n’y a pas encore eu de retour à la normale. Le virus est toujours là et interrompt régulièrement l’apprentissage de beaucoup d’étudiants. »
La pandémie a eu un impact sur tous les étudiants et même les plus intelligents, renchérit Kristof De Witte, professeur en économie à l’Université KU Leuven, en Belgique. « Beaucoup d’études montrent que les pertes d’apprentissage et les inégalités s’additionnent. Nous avons vu un déclin partout : en français, en maths, en science et en langue ». Et bien qu’en Belgique, ça se soit arrêté en maths et en science, au bout d’un an, « cela a continué à décliner en langue », rapporte le chercheur.
La même chose au Québec
Même chose au Québec. « On constate un recul : 69% de réussite en 2021 contre 77% en 2019. Cela varie selon les écoles, car plus elles ont connu de fermetures ou d’interruptions de l’enseignement, moins elles réussissent à maintenir leur niveau », note la professeur au département des sciences économiques de l’UQAM, Catherine Haeck.
Elle présentait lors du colloque de l’OPES, avec son collègue Simon Larose, du Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval, les résultats d’une étude (à paraître) sur les apprentissages et le tutorat en contexte pandémique.
Menée dans le cadre de leur projet Résilience en apprentissage, rassemblant 275 écoles et 12 000 enfants, l’étude analyse l’épreuve du ministère de l’Éducation datée de 2019, que les jeunes de 4e année ont passé en 2021. « Pour ceux qui performent bien, il n’y a pas de changement, alors qu’il y des baisses chez ceux qui performaient déjà moins bien à l’école. »
Catherine Haeck note que les retards scolaires diminuent lorsque l’école est restée ouverte plus souvent; un facteur lié aussi à une hausse de motivation chez les élèves. Elle note une corrélation entre résultats scolaires et faibles revenus des parents. Les enfants plus défavorisés ont eu plus de mal à tirer leur épingle du jeu en temps de pandémie.
Aux 70 jours de fermeture initiale des écoles, lors du premier confinement, se sont ajoutées des fermetures à répétition. Ces jours manqués se ressentent déjà chez ceux qui peinent le plus sur les bancs d’école. « Un écart se creuse entre les élèves moyens et ceux encore plus faibles. Il y a beaucoup de retards en lecture, dès la 2e année du primaire, et beaucoup d’élèves ne tiennent même pas leur crayon de la bonne façon. Il y a aussi une baisse de motivation au 3e cycle », présente à son tour l’enseignante à l’École Saint-Joseph de Sainte-Adèle, Hélène Lecavalier.
Ce que les jeunes vivent…
Et le problème ne s’arrête pas aux apprentissages. « Au niveau école, il y a aussi une diminution du savoir-être, une augmentation du stress et un plus grand manque de respect des élèves envers leurs pairs et même envers le personnel », ajoute l’enseignante.
Ce sont des signaux d’alerte que la santé mentale des jeunes a été affectée par toutes ces perturbations.
Certes, plusieurs experts en santé mentale ont déjà constaté une augmentation de l’anxiété et des symptômes de dépression chez les jeunes du secondaire pendant la pandémie. La professeure adjointe en psychiatrie de l’Université McGill, Marie-Claude Geoffroy, relève toutefois qu’il ne s’agit pas d’un problème récent.
La chercheuse rapporte une augmentation des tentatives de suicide de 6 à 9%, entre 2009 et 2019, et une hausse de 11 % à 19% pour les idées suicidaires pendant les mêmes années.
« Le mal-être des jeunes était présent avant la crise sanitaire. Cela s’est toutefois légèrement accentué avec une hausse de l’anxiété et des idées suicidaires (un jeune sur 4) chez les ados, particulièrement les filles. Même les moins vulnérables sont devenus plus anxieux », résume la Pre Geoffroy.
Du côté des jeunes adules (18-25 ans), une récente étude montre une augmentation de 6% à 9% des dépressions sévères après un an de pandémie, et une hausse de 10 à 14% de ceux souffrant d’anxiété modérée. « Rappelons aussi que 70% des problèmes de santé mentale se manifestent avant 25 ans et donc, qu’il faut augmenter l’accès aux ressources pour les plus jeunes », relève la Pre Geoffroy.
Depuis 2013, quelques jeunes Québécois du secondaire sont scrutés de près par les chercheurs du projet COMPASS. « Nous avons aussi constaté l’augmentation des inégalités pendant la crise sanitaire : plus de difficultés scolaires et un niveau plus élevé de symptômes de santé mentale, particulièrement chez les jeunes filles de 15-16 ans provenant de milieux défavorisés », résume le Dr Slim Haddad, professeur titulaire au département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l’Université Laval.
Ce projet de recherche développé à l’origine par l’Université de Waterloo (Ontario) rassemble, en 2022, 113 écoles, soit 50 000 jeunes de 6 régions du Québec. À travers des questionnaires réguliers de 45 minutes auprès des élèves de secondaire 1 à 5, les chercheurs recueillent des données sur leur santé, leur alimentation, leurs apprentissages et leurs comportements comme le temps passé devant les écrans, l’activité physique ou la consommation de drogues.
Ce sont des moyens, pour les chercheurs, d’évaluer l’efficacité des interventions de promotion de la santé sur les élèves, car ils peuvent les suivre durant tout leur secondaire.
Car comme le rappelaient de nombreux chercheurs lors de cette journée, il faut être capable de mesurer pour agir. « C’est un projet hybride et pas juste un projet de recherche. Nous voulons promouvoir des communautés de pratique et développer les interactions entre les milieux scolaires et leurs communautés, par le biais de concours d’innovations par exemple, et valider les retombées des actions menées auprès des jeunes », ajoute le Dr Haddad.
« On ne s’entendait pas à une pandémie si longue, alors comment fait-on pour équilibrer les risques des maladies avec les impacts sur la société », s’interroge la professeure titulaire au département de microbiologie, infectiologie et immunologie et de pédiatrie de l’Université de Montréal, Caroline Quach-Than.
Elle préconise l’importance de ne plus travailler en silos mais plutôt de faire des suivis en éducation et en santé, de pérenniser les outils donnant d’importantes données mais aussi de surveiller nos bais de sélection. « Il faut avoir l’entièreté de la population dans nos données, incluant les plus vulnérables », ajoute-t-elle.
Sorties de crise
Quelles pourraient être les stratégies pour atténuer les conséquences négatives de la pandémie?
De nombreux experts ont souligné l’importance de laisser les écoles ouvertes, en dépit de la circulation du virus. « Le Québec a gardé ses écoles ouvertes plus longtemps qu’ailleurs, par rapport à l’Ontario par exemple, et en dépit des préoccupations, c’était la bonne décision à prendre », pense Nicholas Mazellier, le sous-ministre adjoint au Ministère de l’Éducation du Québec.
« L’école représente un filet de sécurité pour les élèves vulnérables et défavorisés », avance aussi Dominic Bertrand, directeur général du Centre de service scolaire Marguerite-Bourgeoys.
Cela repose d’abord sur les enseignants. « Un enseignant bien outillé, ce sont 80% des élèves qui sont capables de réussir. Pour les autres, il faut des approches ciblées (15%) ou plus individualisées (5%). Il faut valoriser le personnel enseignant et pas résoudre le problème par du remplacement non qualifié », poursuit Dominic Bertrand.
À l’école primaire de Saint-Adèle, où enseigne Hélène Lecavalier, « l’ajout de service d’aide à la lecture trois fois par semaine depuis l’automne, avec une stagiaire, a beaucoup aidé. Nous avons aussi fait des pairages entre les petits et les plus grands », détaille l’enseignante.
Le tutorat, mentionné à plusieurs reprises, serait d’ailleurs une des mesures d’atténuation importantes. « Nous avons pensé à l’entraide éducative et au tutorat pour près de 170 000 élèves, dès janvier 2021 afin de répondre à la situation particulière et à ses enjeux », relève Nicholas Mazellier.
Le tutorat, c’est aussi le cheval de bataille du professeur à l’Université Laval, Simon Larose. Il présentait le projet FORTUNE (formation au tutorat pour nouveaux et futurs enseignants) : « C’est un programme co-construit avec tous les intervenants de l’école. Il vise le développement des connaissances multidisciplinaires (jumelage, comment initier relation, la didactique, le contenu essentiel, etc. ) et fondées sur les données probantes de la recherche ». Dès l’automne prochain, ce projet arrimé au programme de français au primaire sera expérimenté dans 30 écoles québécoises, pour être évalué en 2023-24, avant d’être déployé à grande échelle à travers la province.