Un contexte informationnel et géopolitique hors de l’ordinaire, mais des institutions qui ont tenu le coup : dans le cadre de la plus récente élection présidentielle, en France, et des élections législatives qui ont suivi, le Groupe de veille numérique à l’intégrité électorale (GVNIE) disait craindre la multiplication des cas de désinformation, possiblement avec comme objectif de semer la confusion, voire de faire capoter les scrutins. Le pire a été évité, disent les experts, mais certaines tendances sont néanmoins inquiétantes.
Ainsi, dans leur rapport final publié un peu plus tôt cette semaine, les experts et spécialistes membres du groupe indiquent que « des tentatives de contestation du processus démocratique ou de la légitimité des sondages d’opinion ont été observées en ligne ».
Ces efforts « ont par exemple abouti à la mise en place d’initiatives de contrôle citoyen du décompte des voix ».
Et si ces démarches « n’ont pas eu d’impact significatif, elles ont fait l’objet de stratégies de communication au sein de communautés très structurées en ligne », écrivent encore les auteurs du rapport, qui mettent en garde contre le fait que « ces rhétoriques pourraient, à terme, influencer les résultats des prochains scrutins ».
Dans la foulée des mouvements sociaux parfois violents qui ont émaillé le premier quinquennat du président Emmanuel Macron – notamment avec les gilets jaunes –, après deux ans de pandémie où les contrôles sociétaux ont été souvent bien stricts, et surtout après l’équivalent d’un coup de semonce, en 2017, lorsqu’un piratage informatique a permis de dérober des documents liés à la campagne de M. Macron, justement, les experts en élections et en désinformation craignaient une déferlante.
D’autant plus que la France, comme membre de l’OTAN, venait de se ranger sans équivoque du côté de l’Ukraine, dans le cadre de l’invasion russe déclenchée fin février. Toutes ces conditions se combinaient donc pour créer une atmosphère potentiellement explosive.
Contenus toxiques
En ligne, dans une sphère où, de l’avis des auteurs de l’étude, le contexte électoral français, avec ses normes administratives bien établies, « peine à se transposer », on a recensé une « incohérence en matière de catégorisation des publicités », tout comme on a détecté « une rémanence de contenus hautement toxiques et leur prégnance parmi les communautés de soutiens aux candidats des extrêmes ».
« Ce phénomène parasite la construction d’un débat démocratique pluraliste et remet une nouvelle fois en cause l’efficacité des politiques de modération et d’invisibilisation des contenus problématiques par les plateformes », lit-on encore dans le rapport, dans une charge contre Facebook, Twitter et les autres.
Malgré tout, disent encore les spécialistes, les institutions électorales françaises – et surtout l’écosystème médiatique – ont tenu le coup. Pourquoi? Les experts n’offrent pas une seule piste de solution, mais avancent plutôt plusieurs hypothèses : tout d’abord, l’interdiction des médias russes Russia Today et Sputnik, deux organes de propagande du Kremlin, « ont affaibli les capacités d’influence en France et les ont détournés de la campagne présidentielle française ». D’autant plus, écrit-on, que ces deux réseaux se concentraient sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Ensuite, le fait que la France était présidente du Conseil de l’Union européenne, pendant la période des deux scrutins, aurait amené une « pression institutionnelle ». La volonté du gouvernement français de s’attaquer à la désinformation aurait aussi joué un rôle important.
Ainsi, comme l’indique le rapport, « le gouvernement a mis en place le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) en amont de l’élection présidentielle. De son côté, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), le régulateur des médias, a sensibilisé les candidats, les partis politiques, les médias et les réseaux sociaux concernant leur responsabilité commune vis-à-vis des désinformations. Cela a démontré la détermination des institutions françaises à s’emparer du sujet ».
La multiplication des bureaux de vote sur le territoire français, l’impossibilité de voter à distance, ou encore les négociations, entre les deux tours de la présidentielle et les deux tours des législatives… tout cela aurait aussi contribué à restreindre les risques de circulation de la désinformation.
Enfin, le poids des médias traditionnels dans la sphère journalistique française, qui est encore important, particulièrement dans la sphère politique, aurait permis de limiter la portée de la désinformation.
Agir maintenant
Ces conclusions relativement positives n’empêchent pas les auteurs du rapport de présenter certaines recommandations pour s’assurer que les prochaines élections françaises permettent elles aussi d’éviter les dérapages.
Les spécialistes du GVNIE proposent ainsi que les institutions européennes puissent examiner les algorithmes de recommandations des plateformes numériques.
Les experts recommandent également que ces mêmes plateformes numériques évaluent les risques que leurs systèmes représentent pour la société, ainsi que « l’efficacité des mesures prises pour atténuer ces risques ».