Nexus, la série culte qui a contribué au renouveau des comics américains indépendants dans les années 1980, est enfin disponible pour la première fois en français, dans un omnibus publié chez Délirium. Est-ce que l’attente en valait la peine?
Horatio Hellpop, alias Nexus, est une sorte de Judge Dredd du cosmos. Bien qu’il soit à la fois juge et bourreau, ses ordres n’émanent pas de la loi des hommes, mais plutôt de rêves si vivaces et douloureux qu’ils pourraient le rendre fou s’il n’en élimine pas la cause. Il a d’ailleurs débuté sa carrière sur un acte particulièrement difficile, en éliminant son propre père, responsable de la mort de 35 millions d’individus sur la planète Vradic. Le justicier costumé du vingt-cinquième siècle ne s’en prend pas aux simples criminels, mais traque les dictateurs, les meurtriers de masse et les esclavagistes. Ylum, la lune qu’il habite, est devenue un sanctuaire pour tous les réfugiés fuyant les persécutions politiques et religieuses, mais malheureusement, de plus en plus d’espions infiltrent cette civilisation utopique dans le but de comprendre d’où le héros tire ses pouvoirs énergétiques, afin de les détourner pour leur profit personnel.
Mélangeant allégrement superhéros et space opera, Nexus a vu le jour en 1981 chez Capital Comics, une petite maison d’édition indépendante tentant de se tailler une place à l’ombre de DC et Marvel, qui dominaient le marché à l’époque. Cette toute première création de Mike Baron et Steve Rude (qui travailleront plus tard sur des séries iconiques comme Batman, The Flash, Captain America ou X-Men) s’est vue remettre pas moins de six Eisner Awards au fil du temps (dont meilleure équipe scénariste-dessinateur, meilleure équipe graphique et meilleur lettrage). Étonnamment, le comics n’avait encore jamais été traduit dans la langue de Molière, et quatre décennies plus tard, les lecteurs francophones peuvent enfin, pour la toute première fois, découvrir cette bande dessinée culte, grâce à l’omnibus publié chez Délirium.
Bien que la série ne soit pas dénuée d’action, avec ses escarmouches entre vaisseaux spatiaux et ses fusillades au pistolet laser, Nexus s’avère plus proche de la science-fiction européenne qu’américaine. Connaissez-vous un autre superhéros qui lit Schopenhauer dans ses temps libres? L’auteur Mike Baron utilise la formule du space opera pour aborder des questions morales et philosophiques intemporelles (comme le sur-moi ou la perception objective de la réalité), et surtout la politique. Son Parti pour la Pureté Raciale lui permet de parler de racisme, encore plus exacerbé dans un monde où les extraterrestres font partie du quotidien, et à travers les nombreux régimes totalitaires auxquels Horatio Hellpop est confronté, c’est le fascisme et les abus du corporatisme qui sont dénoncés.
Tout en affichant l’exubérance typique des comics des années 1980, la série possède un côté rétro à la Flash Gordon, quoique sa vision du futur soit foncièrement originale, et toujours aussi pertinente aujourd’hui. Visionnaire, Nexus met en scène une crise énergétique menaçant la planète Terre, et imagine que les organes d’informations du futur aient été transformés en « média-cirques ». Doté d’une touche d’humour et même d’un érotisme léger, la bande dessinée met de l’avant une science-fiction complètement délirante. Le vilain de ce premier omnibus par exemple, Clausius, publie de fausses offres d’emplois, et coupe les têtes des personnes qui postulent avant de les emprisonner dans un appareil de transfert télékinétique de fusion afin d’alimenter son vaisseau.
Avec un coup de crayon ressemblant à celui de Russ Manning, les dessins épurés de Steve Rude possèdent une esthétique « pulp », et son style visuel évoque les bandes dessinées que l’on pouvait trouver dans les vieux magazines Métal Hurlant. Vaisseaux aux formes insolites, cités futuristes, planètes aux forêts étranges, immense ziggourat flottante, bar spatial à l’orée d’un trou noir, les images de Nexus débordent d’imagination. Dans une scène qui semble avoir inspiré Le Cinquième Élément de Luc Besson, l’artiste esquisse un embouteillage monstre de voitures volantes à New York. Ses extraterrestres sont aussi très imaginatifs : humanoïdes bleus munis d’ailerons sur la tête, femmes avec oreilles et queue de chat, ou créatures simiesques vêtues comme des gladiateurs cosmiques. Les cent premières pages de l’omnibus sont imprimées en noir et blanc, mais le reste de l’album est en couleur.
Avec sa science-fiction originale et adulte, il est facile de comprendre pourquoi Nexus a reçu autant de récompenses. Il est à souhaiter que la maison d’édition Délirium publie les autres omnibus en français prochainement, afin de nous permettre de connaître la suite de cette saga cosmique pas comme les autres.
Nexus Omnibus Volume 1, de Mike Baron et Steve Rude. Publié aux éditions Délirium, 424 pages.