Le risque qu’un coup d’État se produise dans un État est associé de façon négative au degré de mécanisation de son armée, c’est-à-dire à quel point les forces militaires du pays dépendent des chars d’assauts et d’autres véhicules blindés, par rapport aux soldats.
Voilà la principale conclusion d’une étude rassemblant des chercheurs des universités Pompeu Fabra, d’Essex et de Munich.
« Si nous ne remettons pas nécessairement en question la doctrine voulant que la mécanisation renforce l’armée, nous démontrons que les armées plus puissantes ne représentent pas nécessairement une menace plus importante envers leur gouvernement », affirment les spécialistes.
Les travaux, récemment publiés dans Comparative Political Studies, font partie des premiers à établir un lien théorique et empirique entre la structure des forces militaires et la façon dont les coups d’État surviennent, ainsi que le degré de mécanisation de l’armée avec les relations entre l’armée et le pouvoir civil dans un État.
Au dire des auteurs, lors d’un coup d’État, le niveau plus élevé de mécanisation des forces armées augmente le coût d’exécution potentiel et nuit à la coordination, ce qui peut rebuter les conspirateurs éventuels.
Remettre en question le « dilemme du protecteur »
Le coeur des relations entre l’armée et le pouvoir civil s’articule autour du « dilemme du protecteur », soit la dépendance envers les forces armées pour protéger contre les menaces extérieures et intérieures, ce qui place les militaires dans une position fondamentale qui peut ensuite servir à prendre le pouvoir.
Et donc, le dilemme signifie qu’une armée plus forte représenterait une menace plus importante envers l’État. Le paradoxe se trouve au coeur du fait que l’institution créée pour protéger le système politique possède suffisamment de pouvoir pour devenir elle-même une menace envers le système.
« Notre recherche examine les implications pratiques de ce dilemme et, sous certaines circonstances, remet en question la notion que les armées plus puissantes représentent une menace plus importante envers les gouvernements », écrivent les auteurs.
Selon ces derniers, le fait de posséder des chars, des véhicules et des armes plus lourdes aiderait l’armée à se contenter du statu quo et réduire du même coup les incitations à déclencher un coup d’État. Pour les chercheurs, cependant, ce facteur n’est pas le seul à contribuer à la stabilité de l’État : l’armée priorise le fait d’éviter les conflits fratricides entre membres des forces militaires, et la mécanisation peut augmenter les risques de confrontation et les coûts qui en découlent, et qui sont également associés à l’absence de coordination entre les unités. Dans des contextes d’incertitude et de coûts d’exécution potentiellement élevé, le tout dans un environnement urbain, un coup d’État est moins probable.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont effectué une analyse quantitative et utilisé diverses méthodes de prédiction et de pronostic, en évaluant notamment le nombre de coups d’État par rapport au niveau de mécanisation des armées, durant la période allant de 1979 à 2019. Toutes les organisations militaires de la planète ont ainsi été examinées, y compris dans les démocraties.
Les spécialistes se sont concentrés sur les forces terrestres, puisque dans la vaste majorité des cas, ce sont elles qui mènent les coups d’État.
Mécaniser… et nuire aux contre-insurrections
Parmi les conclusions découlant de l’étude, les chercheurs ont constaté que les changements structurels dans l’organisation et l’équipement de l’armée, y compris la mécanisation, peut avoir des conséquences négatives indirectes.
« Nos résultats s’ajoutent à ceux d’autres auteurs, qui ont constaté que des niveaux plus élevés de mécanisation réduisait la capacité contre-insurrectionnelle de l’armée, ce qui veut dire leur capacité à confronter des insurrections armées locales, ce qui veut dire des guerres civiles plus longues et une proportion plus faible de victoires gouvernementales lors de ces conflits », écrit l’un des chercheurs, Abel Escribà-Folch.
« Investir dans la mécanisation signifie que le gouvernement transfère le risque des coups d’État vers les insurrections internes, qui sont moins fréquentes et dont le taux de réussite est moindre », concluent les spécialistes.