Quel bruit fait-on, quand on tombe? Quel est le son de nos espoirs, de nos rêves, de nos ambitions, alors que tout cela est peu à peu réduit en cendres? L’écrivain cubain Carlos Manuel Alvarez pose ces difficiles questions dans Tomber, un roman récemment paru chez Mémoire d’encrier.
Il est probablement difficile d’imaginer vivre dans le dénuement. En fait, ce qui est probablement difficile à imaginer, c’est plutôt le fait de vivre dans le dénuement institutionnalisé. Car à Cuba, même (ou surtout) après la chute de l’URSS, l’heure est à la pauvreté. Ça, les Cubains connaissent. Ce qui a changé, c’est la fracturation sociale, avec la disparition des repères idéologiques et économiques du temps de l’Union soviétique.
Tout cela, l’auteur le représente sous la forme d’une famille, avec le père rigide dans ses convictions, la fille aidante, mais dépassée, le fils revanchard qui écoule les journées restantes à son service militaire en traînant ici et là. Et la mère, gravement malade, qui représente en quelque sorte cette société cubaine qui se délite peu à peu. La voilà qu’elle tombe, perd la mémoire, semble subir des crises de délire, de sénilité, ou les deux.
Chacun leur tour, les quatre membres de cette famille se devant d’être soudée, mais frôlant toujours plus l’éclatement, tentera d’affronter les rigueurs de la journée, bien entendu avec une perspective qui leur est propre.
Avec une écriture incisive qui a heureusement survécu au travail de traduction, Carlos Manuel Alvarez dépeint un Cuba où l’espoir devrait faire vivre. Mais il s’agit plutôt d’un pays, d’un peuple qui se cherche. Qui espère maintenant construire ses propres repères, développer ses propres idées, assumer son existence comme pays indépendant. Un processus complexe, où les embûches menacent à chaque instant de faire chavirer la barque de la société cubaine, mais un processus qui, malgré tout, devrait mener à quelque chose de mieux.
Du moins, c’est ce qu’il faut espérer. Là-dessus l’auteur ne s’avance pas. Mais ce que Tomber mets de l’avant, c’est la douloureuse recherche de soi à laquelle s’astreignent des millions de Cubains. Un ouvrage important à ajouter à sa collection.