Les impacts mondiaux de l’invasion russe de l’Ukraine ont mis au jours les vulnérabilités en matière de sécurité énergétique, aux États-Unis, et sapé le mythe selon lequel le pays de l’Oncle Sam, ou n’importe quelle autre économie développée, est véritablement déjà parvenu au stade de l’indépendance énergétique, selon une analyse effectuée par des chercheurs de l’OSBL spécialisé en énergie RMI et l’Université Duke.
Si les États-Unis produisent localement 75 % de leur pétrole et 90 % de leur gaz naturel, et n’importent qu’une très petite quantité de pétrole russe – une transaction maintenant interdite, dans la foulée des sanctions contre Moscou –, Washington demeure inextricablement liée à l’énergie russe, via des chaînes d’approvisionnement hautement mondialisées qui s’appuient sur le carburant russe pour produire des biens destinés au marché américain, notent les analystes.
« La Russie ne peut plus vendre son pétrole aux Américains ou aux Européens, mais elle peut encore le vendre à d’autres économies industrialisées, comme l’Inde ou la Chine, où il sert à produire des biens que nous continuons d’importer », mentionne Lincoln Pratson.
« Nous avons imposé un embargo sur le pétrole russe, mais nous continuons, indirectement, d’acheter ce brut à travers ces produits », a-t-il ajouté.
Selon lui, cela vient amoindrir l’impact des sanctions américaines et place les décideurs américains devant un dilemme. Si les Américains importent un produit plutôt que de le produire localement, cela libère une partie de leur budget énergétique pour l’utiliser ailleurs, mais au même moment, le produit importé lie la sécurité énergétique du pays à celle de la nation exportatrice, qui pourrait dépendre de la Russie pour son combustible.
« La question devient la suivante : les gains liés à l’achat de quelque chose d’autre avec cette énergie valent-ils le risque énergétique accru lié aux importations? », s’interroge Jun Ukita Shepard, qui a aussi participé aux travaux.
Les récentes décisions de Washington, notamment avec les sanctions pétrolières et le retrait du statut de nation favorisée pour la Russie, ne ciblent qu’une partie du risque, mentionne Mme Shepard. « Cela n’est pas très efficace pour s’attaquer aux risques liés à l’énergie russe indirecte contenue dans plusieurs produits que nous importons d’autres pays. »
Trois options, autant de risques
La nouvelle analyse examine trois méthodes que les États-Unis peuvent appliquer pour réduire l’exposition à ces risques.
La première option, l’approche « Buy American », nécessite de réduire de façon substantielle la demande pour les produits et services importés. Cela nécessiterait une transformation en profondeur du style de vie des consommateurs américains, ce qui risque fort de limiter son efficacité potentielle, juge Mme Shepard.
La deuxième option, « Made in America », consiste à investir pour accroître la production domestique de produits essentiels. Si cette approche peut sembler prometteuse, elle possède aussi ses limites, parce que la quasi-totalité des articles produits en sol américain s’appuie sur des parties ou des pièces importées, à un moment ou un autre de la chaîne de production. Cela est particulièrement vrai pour des produits comme les piles et les semiconducteurs, note Mme Shepard.
Pour atteindre l’indépendance énergétique en utilisant cette approche, note la chercheuse, il serait nécessaire d’accroître les investissements dans la conception innovatrice de biens et trouver des méthodes pour utiliser uniquement des ressources de base provenant des États-Unis, comme le fait de remplacer les piles à lithium-ion, qui contiennent des minerais non exploités sur le territoire américain, avec des piles locales au sodium-souffre.
La troisième option, qui pourrait être employée seule ou en combinaison avec les deux premières, consiste à sécuriser les chaînes d’approvisionnement américaines en investissant dans les technologies renouvelables aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Cela viendrait renforcer la sécurité énergétique à long terme des pays sur lesquels Washington s’appuie pour obtenir du minerai brut ou des produits de première nécessité, affirme M. Pratson, puisque quasiment tous les pays peuvent produire, à l’échelle locale, de l’énergie renouvelable. Et si l’énergie propre nécessite un investissement dès le départ, sa production n’est pas soumise aux volatilités extrêmes des chaînes d’approvisionnement qui frappent maintenant le pétrole et le gaz naturel, des volatilités qui ont été exacerbées par la guerre en Ukraine.
« Plus de 100 pays possèdent des économies industrialisées, mais seule une poignée de nations, comme la Russie, produisent et exportent la plupart de l’énergie qui alimente ces économies », a poursuivi M. Pratson.
Aux yeux de Mme Shepard, « assurer la sécurité énergétique des États-Unis exige que tous les pays atteignent également ce stade ».