Se voulant une suite au Secret de l’Espadon, la toute première aventure de Blake et Mortimer, Le Dernier Espadon, un album scénarisé par Jean Van Hamme et dessiné à quatre mains par Teun Berserik et Peter Van Dongen, saura plaire à tous les inconditionnels de la série créée par Edgar P. Jacobs.
N’eut été de l’Espadon, un chasseur amphibie doté d’un armement atomique ultrasophistiqué, l’Empereur Basam-Damdu aurait sans doute réussi à conquérir la planète entière à la fin des années 1940. Alors que la Troisième Guerre mondiale est terminée, l’inventeur de cet avion révolutionnaire, le professeur Philip Mortimer, est chargé par le gouvernement britannique de démanteler la base de Makran, où sont stockés les cinq Espadons restants, et de les ramener au Royaume-Uni. Il ignore toutefois que sa mission est risquée, puisqu’une puissance inconnue cherche à s’approprier les appareils. Au même moment, le capitaine Francis Blake, qui dirige maintenant le MI5, le service de contre-espionnage de sa Majesté, reçoit une information troublante selon laquelle l’Armée républicaine irlandaise prépare la plus effroyable machination jamais ourdie contre l’Angleterre, en tentant de faire exploser le palais de Buckingham avec la famille royale dedans. Se pourrait-il que les deux affaires soient reliées?
Non seulement Jean Van Hamme est-il le créateur de plusieurs bandes dessinées à succès (dont Thorgal, XIII ou Largo Winch), il fût aussi le premier scénariste à reprendre le flambeau de Blake et Mortimer après la mort d’Edgar P. Jacobs avec L’Affaire Francis Blake, paru en 1996. Il connaît bien l’iconique duo, puisque Le Dernier Espadon est déjà le cinquième tome de la série qu’il signe. Plus proche de l’intrigue géopolitique que de la science-fiction, cet album est une suite directe au Secret de l’Espadon, et comme il est truffé de références à la toute première aventure des deux héros britanniques, il est préférable de l’avoir lu pour mieux en apprécier le récit. On revoit par exemple la pyramide de Makran, là où Mortimer, pourchassé par les forces de l’empereur Basam-Damdu, a jadis caché les plans de l’Espadon. Razul, l’ancien espion Bezendjas du colonel Olrik, est aussi de la partie, tout comme l’ingénieur Hudson, qui avait fait exploser la base de Scaw-Fell au moment de l’invasion par les « Jaunes ».
Blake et Mortimer ont toujours évolué dans un univers parallèle au nôtre, mais Jean Van Hamme insère plusieurs éléments véridiques dans Le Dernier Espadon, à commencer par la présence de l’Armée républicaine irlandaise. D’ailleurs, l’attentat sur Buckingham Palace au cœur de l’intrigue a déjà été tenté à deux reprises par l’IRA, en 1940 et 1944. Comme plusieurs scientifiques ayant participé à la fabrication d’armes de destruction, Philip Mortimer se demande si l’Histoire lui pardonnera la création de l’Espadon dans cette nouvelle aventure. Un cynisme bien moderne s’infiltre aussi dans ce monde de fair play et de flegme britannique. Alors que, dînant dans un club privé de Londres, Blake se penche auprès de Mortimer pour lui révéler des informations confidentielles, des clients à la table d’à côté pensent qu’ils s’embrassent, et l’un d’eux déclare même « Shocking! Il paraît d’ailleurs qu’ils vivent ensemble », une allusion (totalement non fondée) sur l’homosexualité du duo. L’auteur ajoute en contrepartie une légère touche d’humour, qui n’est habituellement pas au menu.
Avec Hergé (dont il a d’ailleurs été l’assistant), Edgar P. Jacobs est le père de l’école de la ligne claire, et contrairement à l’album précédent, Le Cri du Moloch, dont certaines cases plus sommairement esquissées n’étaient pas à la hauteur du style graphique de la série, Teun Berserik et Peter Van Dongen (qui ont illustré les deux tomes de La Vallée des Immortels), reprennent ici le style visuel de Jacobs à la lettre. Les dessins ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux du créateur de Blake et Mortimer et la coloration rétro, composée de couleurs pleines et sans dégradés, accentue cette ressemblance. Berserik et Van Dongen reprennent même certaines scènes de combat aérien du Secret de l’Espadon avec une telle fidélité qu’elles semblent directement tirées des albums originaux. Signe de maturité, on voit du sang s’échapper des corps criblés de balles pour la première fois, et on a même droit à une scène de lit!
Apportant de nouveaux éléments à la formule sans pour autant dénaturer l’âme de la série, Le Dernier Espadon a clairement été réalisé par des gens vouant un immense respect à l’œuvre d’Edgar P. Jacobs, et c’est pourquoi cet album ravira tous les amateurs de Blake et Mortimer, qui seront heureux de se mettre une nouvelle aventure du duo sous la dent.
Blake et Mortimer – Tome 28 : Le Dernier Espadon, de Jean Van Hamme, Teun Berserik et Peter Van Dongen. Publié aux édition Blake et Mortimer, 64 pages.