Et si Quasimodo, le plus célèbre des bossus, n’était pas mort dans les caves de Montfaucon en 1482 tel que décrit dans le roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo? C’est la prémisse de la bande dessinée Le Bossu de Montfaucon, dont l’histoire se décline en deux tomes.
Suite à la mort de Louis XI, son fils Charles VIII, qui n’a que quatorze ans, règne officiellement sur la France, mais c’est sa sœur aînée, Anne de Beaujeu, qui tire les ficelles, une situation causant énormément de frustration parmi la noblesse du pays. Dépouillé de ses titres et de ses terres et bien déterminé à venger son père, assassiné malgré sa capitulation, Pierre, le fils bâtard du duc d’Armagnac, se rend alors à Montfaucon où, éploré par la perte de la gitane Esmeralda, Quasimodo se laisse mourir de chagrin. Se liant d’amitié avec le bossu et l’engageant comme homme de main, le noble déchu décide alors de prêter main forte à Louis d’Orléans, l’héritier de la couronne après Charles VIII, afin de l’aider à prendre le pouvoir. La première mission du groupe sera de mettre la main sur deux lettres prouvant que Louis est le fils du palefrenier, Bayonne, et non pas du Roi, ce qui stopperait net ses prétentions au trône, mais ils ne sont pas les seuls à convoiter ces documents compromettants.
Avec Le Bossu de Montfaucon, le scénariste Philippe Pelaez (à qui l’on doit l’album coup-de-poing Dans mon village, on mangeait des chats) insère Quasimodo au cœur d’événements bien réels, soit la Guerre folle, un conflit s’étant déroulé entre 1485 et 1488 et dans lequel une coalition de seigneurs s’opposa à Anne Beaujeu, alors régente de France. Bien qu’elle intègre un personnage de fiction, la bande dessinée n’est pas une uchronie, puisque tous les faits qui y sont relatés sont absolument véridiques. Cette intrigue historique est si dense et touffue que chacun des deux tomes de la série s’amorce par une description des protagonistes, et un résumé de ce tortueux conflit entre membres de la noblesse. Le récit aurait pu être verbeux si Pelaez ne maîtrisait pas aussi bien l’art du dialogue et de la formule. Parlant du bossu par exemple, il écrit « Ce dos voûté est celui d’un Atlas capable à lui seul de supporter un ciel de souffrance ». Quelle belle plume!
Les deux tomes du Bossu de Montfaucon permettent de pénétrer au cœur des intrigues de la Cour, des mariages forcés, et des alliances éphémères se faisant et se défaisant au gré des fluctuations du pouvoir. La bande dessinée contrebalance le tout avec de nombreuses scènes d’action mettant en vedette le bossu, qui escalade les murailles des châteaux, se faufile dans les cales de bateaux, et se bat avec la force de quinze hommes. Il s’agit donc d’un savant mélange de diplomatie sournoise, et d’aventures de cape et d’épée. L’auteur aime manifestement la symétrie. Ce n’est pas un, mais bien deux bâtards qui s’allieront contre la monarchie française. À travers le personnage de Jeanne la boiteuse, la sœur cadette d’Anne de Beaujeu que Louis XI maria à Louis d’Orléans dans l’espoir d’éteindre sa lignée puisqu’il la pensait stérile, il crée un alter-égo féminin à Quasimodo. D’ailleurs, comme son mariage n’a jamais été consumé et que son époux la méprise, la jeune femme, qui rêve d’étreinte masculine, tombera même amoureuse du bossu.
Avec plus d’une quarantaine d’albums à son actif depuis 1989, le dessinateur Éric Stalner a développé un style visuel d’une grande richesse, et d’une grande qualité. Il reproduit dans le détail les lieux emblématiques de la fin du XVème siècle en France dans Le Bossu de Montfaucon, dont la cathédrale de Nantes en chantier, Notre-Dame de Paris, ou les cachots du château de Loches, où croupissent les prisonniers. Il injecte une pincée de nudité et d’érotisme à ses planches, et ne dédaigne pas la violence graphique : cadavres pendus sur des gibets et dévorés par les corbeaux, soldats massacrant les civils dans les rues de Lectoure, divination dans les entrailles d’un lapin, ou combats sanglants entre les armées s’entrechoquant sur le champ de bataille. Loin d’être caricatural ou exagérément monstrueux, son Quasimodo possède beaucoup d’humanité. Avec ses teintes d’ocre, de brun, de vert et de gris, la coloration terreuse de Florence Fantini contribue au réalisme historique des illustrations de Stalner.
Tout en prenant la liberté de donner une seconde vie à Quasimodo, Le Bossu de Montfaucon parvient à résumer toute la complexité de la Guerre folle ayant secouée la France à la fin du XVème siècle. Il s’agit d’une lecture qui plaira aux férus d’Histoire, et de l’immortel bossu créé par Victor Hugo.
Le Bossu de Montfaucon – Tome 1 : Notre-Sœur, de Philippe Pelaez et Éric Stalner. Publié aux éditions Grand Angle, 64 pages.
Le Bossu de Montfaucon – Tome 2 : Notre-Père, de Philippe Pelaez et Éric Stalner. Publié aux éditions Grand Angle, 64 pages.