Transgresser ses thématiques n’est pas chose facile, mais c’est ce que réussit Matt Sobel avec Take Me to the River, un captivant et régulièrement épatant premier film.
Le coming-of-age estival est pratiquement un genre en soi, alors que le temps des vacances semble toujours propice aux esprits des jeunes adultes en devenir de s’émanciper. Et la proposition de Matt Sobel aurait aisément pu se ranger parmi tant d’autres, allant de The Way Way Back à d’autres films davantage concentrés sur la jeunesse, comme The Kings of Summer. Sauf que dès la scène d’ouverture, on ajoute également le coefficient du coming out, une thématique qui se voit souvent liée à la chaleur de l’été, comme si la canicule poussait les pulsions à se révéler entièrement, que ce soit dans Les roseaux sauvages, dans Beach Rats, ou dans tous les autres dérivés.
Sauf que Sobel ne s’arrête pas là. Sans trop gâcher de surprises, le film continue régulièrement de brouiller les pistes et de contourner les attentes, ou même les appréhensions. Ainsi, en jumelant également le malaise des grandes réunions familiales (la prémisse d’un grand nombre de pièces de théâtre qui virent presque toujours au chaos) à un sujet encore plus précis menant à une insoutenable tension (malgré le fait qu’il ne se passe « rien », comme le faisait brillamment le mésestimé Tyrel), le film ne sera jamais ce qu’on attendra de lui et c’est tant mieux.
C’est cette richesse à presque tous les niveaux qui se joue toujours des nuances des situations et des nombreuses ambiguïtés qui apporte toute la richesse au long-métrage. Ces diverses contradictions entre la naïveté de la jeunesse et la fin de l’innocence du monde adulte aident aussi à toujours hausser les inconforts et les malaises, tout comme à approfondir les différents niveaux de lecture possible avec ce film souvent volontairement évasif.
Il faut dire que la distribution, composée énormément d’interprètes d’expérience qui passent régulièrement sous les radars, aide beaucoup. Le toujours excellent Josh Hamilton est à mille lieues du personnage de père qu’il incarnait dans Eighth Grade, Richard Schiff est d’une réconfortante justesse, Logan Miller trouve de loin sa performance la plus accomplie en carrière, mais c’est définitivement Robin Weigert qui en impose, dans ce rôle de mère d’une impressionnante complexité.
L’équipe technique a également du mérite. Le monteur Jacob Secher Schulsinger a travaillé autant pour Lars Von Trier que Ruben Östlund, alors que le film ne serait rien sans les superbes images de Thomas Scott Stanton qui capturent avec brio la nature qui entoure autant les situations que les personnages.
De la part de Film Movement, disons que l’édition DVD est un peu décevante. Si le film impressionne de par lui-même, on regrette l’absence de sous-titres qui peuvent également servir pour les malentendants et la maigre tenue des suppléments. Le segment d’entrevues promotionnelles de huit minutes avec les comédiens Logan Miller et Robin Weigert paraît un peu futile, comme les deux accompagnent le cinéaste Matt Sober dans la sympathique piste de commentaires audio.
Take Me to the River s’avère une excellente surprise qui ne ménage pas son caractère hautement instable et imprévisible. Avec cette réflexion peut-être un peu moins subtile d’une Amérique clairement divisée en filigrane, mais peut-être pas totalement perdue, on pourrait reprocher au film de miser sur un peu trop de chevaux à la fois, ce qui ne lui enlève pas son immense potentiel auquel il parvient plus régulièrement qu’autrement à satisfaire.
7/10
Take Me to the River est disponible en DVD via Film Movement.