Dans les pays en développement, la pauvreté chronique peut sembler être un problème insoluble. Mais une étude à long terme menée au Bangladesh, codirigée par un économiste du MIT, présente un portrait largement différent : lorsque les habitants des campagnes reçoivent un coup de pouce financier, cela les aide à accumuler plus de biens, trouver de meilleurs emplois, et se sortir de la pauvreté.
L’étude suggère fortement, par exemple, que la pauvreté n’est pas principalement la conséquence des capacités ou de l’attitude des gens. Les personnes très pauvres sont plutôt souvent prises dans un « piège de pauvreté », au sein duquel un manque initial de ressources les empêche d’améliorer leurs conditions. Mais l’acquisition soudaine d’un bien productif – par exemple, une vache – dans le cadre d’un programme de transfert de biens aléatoire peut aider à sortir les pauvres de ce piège, si ledit transfert leur permet de franchir un seuil situé au-dessus d’un minimum en matière de richesse.
Plutôt que d’être de simples employés agricoles ou des domestiques, les habitants ruraux se mettent à l’élevage et cultivent davantage de terres, en plus de profiter de meilleurs revenus.
« Les personnes pauvres se trouvant dans ces contextes ne sont pas dans l’impossibilité de se trouver de meilleur emploi, ils n’ont simplement pas les biens pour le faire », soutient Clare Balboni, professeure adjointe au MIT au coautrice de l’étude.
Ces travaux avancent des preuves sous-tendant le succès des programmes anti-pauvreté qui s’articulent autour de la théorie de la « grande poussée », des programmes qui s’appuient généralement sur des interventions uniques. Comme l’indique l’étude, « ces politiques qui transforment des opportunités d’emploi représente une méthode efficace pour s’attaquer au problème de la pauvreté à l’échelle mondiale ». Depuis une quinzaine d’années, d’ailleurs, ces programmes gagnent en popularité.
L’étude en question, intitulée Why Do People Stay Poor?, est parue dans The Quaterly Journal of Economics.
Pour réaliser leurs travaux, les chercheurs ont examiné des données provenant de sondages à long terme portant sur 23 000 ménages répartis dans 1309 villages, le tout administré par une ONG du Bangladesh. Ce projet comprenait un programme antipauvreté touchant 6000 ménages ruraux pauvres : dans la moitié de ces familles, les femmes ont reçu un transfert de bien d’environ 500 $, ainsi qu’une formation complémentaire, en 2007, tandis que l’autre moitié a servi de groupe de contrôle après 2011, le tout avec des sondages effectués en 2007, 2009, 2011, 2014 et 2018.
Une aide plus qu’utile
Une précédente étude vient quantifier les gains matériels liés à cette expérience. Après quatre ans, les femmes ayant obtenu une vache en 2007 avaient vu leurs revenus augmenter de 37 %; leur consommation, de 10 %; la possession de biens ménagers durables avait bondi de 110 %, et le taux de pauvreté extrême (les personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour) avait reculé de 15 %, comparativement au groupe de contrôle.
En gros, ce type d’intervention fonctionne. Mais pourquoi? L’étude a passé au crible les données du projet de recherche de l’ONG pour en arriver à une explication. Les villages participant au test possède un modèle de distribution de la richesse qualifié de « bimodal » : certaines personnes ont très peu de biens, alors que d’autres en ont beaucoup plus, le tout avec un fossé entre ces deux niveaux de richesse. Et lorsque les gens les plus pauvres reçoivent un bien d’une valeur de 500$, cela les place dans ce fossé entre les deux groupes.
Les pauvres n’y demeurent cependant pas; en suivant les ménages avec le temps, les chercheurs ont identifié une tendance surprenante. Le fossé entre ces deux niveaux de richesse est en fait un seuil. Les gens pour qui le don de 500 $ a permis de franchir ce seuil ont vu leurs revenus et leur richesse augmenter avec le temps, alors que les autres sont restés pauvres.
Essentiellement, le fait d’acquérir ne serait-ce qu’une seule vache a permis aux membres de ménages très pauvres de passer de l’état de travailleurs sous-employés au fait de travailler avec davantage de bétail et de cultiver des terres. Ce n’est pas que les pauvres ne voulaient pas travailler; les heures travaillées augmentaient, en fait, lorsque les gens avaient davantage d’options.
Selon l’étude, 98 % des ménages pauvres étaient formés de paysans payés à l’heure avant l’intervention, alors que 98 % d’entre eux choisiraient de consacrer du temps à l’élevage, s’ils en avaient les moyens.
« Les pauvres sont coincés dans ce métier parce qu’ils sont nés pauvres », soutient l’une des chercheuses.
De fait, l’étude menée au Bangladesh révèle que les conditions découlant de ce « piège à pauvreté » est l’équivalent de 15 fois la valeur du coup de main unique pour que les ménages pauvres franchissent ce fossé en apparence insurmontable.