Le Québec connait depuis plus de 20 ans une augmentation sans précédent des inondations majeures liées aux changements climatiques. Assez longtemps pour que la recherche ait à présent des données solides sur les façons dont ces catastrophes naturelles affectent les populations touchées.
« Cela déstructure des familles et le tissu social en déplaçant des communautés et en isolant des gens. Il y a beaucoup de détresse, menant parfois au suicide, mais on en parle encore bien peu », relève Philippe Gachon, le directeur général du Réseau Inondations InterSectoriel du Québec (RIISQ) et co-responsable du colloque Des risques naturels sous-estimés?, qui se tient cette semaine au congrès de l’Acfas.
Certains agriculteurs, en plus de perdre leur gagne-pain, doivent également subir de la contamination des sols. Des résidents perdent leur maison, s’endettent et vivent aussi des problèmes de santé mentale.
« Les gens vont mettre plus de 10 ans à s’en remettre, c’est pourquoi il faut considérer dès l’intervention, l’importance de ce qu’ils vivent, au-delà de la perte de leurs biens, et leur apporter une aide psychosociale pour les aider à passer à travers », rappelle le Pr Gachon.
Augmenter le financement et mieux cibler ces aides pour bâtir un futur plus résilient pour les populations, est une mesure également considérée dans le nouveau rapport du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques liés aux désastres (UNDRR) : « Faire plus de la même chose ne sera pas suffisant. Il faudra transformer la valeur des systèmes de gouvernance et la façon dont le risque systémique est compris et abordé ».
« Le fait d’être inondé, cela va au-delà d’avoir eu de l’eau dans notre sous-sol. C’est une vie de victime qui ne disparait pas avec le retrait de l’eau mais dure des années », précise encore la Pre Danielle Maltais, directrice de la Chaire de recherche institutionnelle Événements traumatiques, santé mentale et résilience de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Dans une récente étude, qu’elle présente au colloque et qui sera publiée à l’automne, la chercheuse en travail social décrit le rôle des facteurs de stress secondaires: la perte d’emploi, l’endettement, la relocalisation, le long processus d’indemnisation et les autres difficultés. Tout cela contribue directement à l’anxiété, à la détresse psychologique, et aussi au choc post-traumatique vécu par les personnes, comme le montrent les témoignages qu’elle a recueillis auprès des sinistrés des inondations de 2019.
En explorant le vécu des résidents des municipalités touchées, la chercheuse espère aider à comprendre comment mieux les aider.
« Que ce soit une inondation, un incendie ou une tornade, les victimes vivent le même stress », rappelle la Pre Maltais. La capacité de chacun à traverser cette longue épreuve pourrait toutefois être améliorée par un meilleur soutien de la part des intervenants, des assureurs et des autorités publiques.
Lorsque l’eau se retire
L’ampleur sans précédent des inondations de 2019 a marqué l’imaginaire collectif au Québec, avec plus de 40 jours de montée des eaux aux forts débits ainsi que l’évacuation nocturne d’une partie des résidents de Sainte-Marthe-sur-le-Lac.
Cet événement, qui survenait lui-même deux ans à peine après d’autres inondations majeures, a poussé le gouvernement du Québec à instaurer en 2019 une zone d’intervention spéciale (ZIS) – un décret qui impose un moratoire sur la construction, mais aussi sur la reconstruction des bâtiments qui ont été détruits par une inondation.
Québec a également instauré des changements à l’indemnisation aux sinistrés. Cela a fait toutefois de nombreux mécontents, comme s’en est rendu compte le spécialiste en gestion des risques et finance environnementale, Michael Bourdeau-Brien.
« Une grosse partie des dommages repose encore sur les épaules des sinistrés, comme le montrent les nouvelles règles d’indemnisation destinées à redonner le minimum. Le sentiment d’injustice est la variable qui ressort le plus souvent de notre étude », relève le professeur en sciences de l’administration de l’Université Laval.
Avec son collègue Mathieu Boudreault, professeur en actuariat à l’UQÀM, il s’est d’ailleurs penché sur le coût des inondations successives et les impacts financiers de la limite de la couverture à 100 000$ à vie, également mise en place par le gouvernement du Québec, en avril 2019.
Leur modélisation met à jour les vulnérabilités financières des sinistrés et montre l’insuffisance de ce programme pour les citoyens qui n’ont pas accès à une assurance inondations. De plus, il est possible qu’une insolvabilité, liée au surendettement et à l’épuisement des ressources financières, menace ceux qui vivront des inondations à répétition dans les années à venir. Avec des conséquences dramatiques sur leur santé mentale.
« Cette mesure gouvernementale augmente sensiblement le risque d’insolvabilité des ménages; un risque sous-estimé et en deçà des dommages réels qui devraient inclure la perte de salaire et les problèmes de santé », souligne encore le chercheur.
Autrement dit, beaucoup de programmes d’indemnisation ne visent que les conséquences financières directes des inondations, et ne prennent pas en compte les dommages liés aux humains. « C’est pour cette raison qu’ils évaluent à la baisse les conséquences de ce type de catastrophes naturelles», conclut le chercheur.
Injustice, finance et dommages humains
Les sinistrés « sont deux fois plus susceptibles d’avoir une mauvaise santé mentale. On relève aussi trois fois plus d’anxiété et cinq fois plus de stress post-traumatique lorsque le sentiment d’injustice se manifeste », note le Pr Bourdeau-Brien.
Le questionnaire qu’il a fait remplir par 680 résidents des régions inondées de 2019 montre que, lorsque les personnes ont subi des dommages matériels, leurs réponses témoignent d’une plus forte anxiété, d’épisodes dépressifs et de traumas.
Et cela, en dépit du possible stress lié à la Covid-19 —la seconde partie du questionnaire a été faite 18 mois après les inondations, donc pendant la pandémie. « Certaines problématiques subsistent, et on note chez les personnes qui ont vécu plusieurs inondations, plus de prévalence de problèmes de santé mentale », note encore Michael Bourdeau-Brien.
C’est lié aussi au montant de la perte. « Jusqu’à neuf fois plus de chances de vivre un choc post-traumatique lorsque la perte est évaluée à plus de 50 000$ », ajoute encore le chercheur.
Des programmes pour faciliter le rétablissement
Danielle Maltais, de l’UQAC, rapporte certaines initiatives susceptibles de mieux soutenir les victimes d’inondations. La municipalité de Saint-André d’Argenteuil a ainsi mis à la disposition des sinistrés de 2019 deux intervenants dont le travail consistait à aider les gens à remplir les formulaires de déclaration de dommages demandés par le ministère. « Ce type de document, c’est complexe à remplir. Lorsqu’on vit dans l’incertitude, cela ajoute un élément de stress », explique la chercheuse.
À Gatineau, c’est le comité de relogement d’un organisme communautaire qui a monté une table de concertation avec les services de santé (CIUSSS), la ville et divers autres partenaires afin de trouver des logements abordables pour les sinistrés. Ailleurs, une équipe de médecins et de personnel soignant a été libérée pour répondre aux besoins spécifiques des sinistrés, particulièrement du côté de la santé psychologique.
« Au Québec, nous sommes bons pour les interventions, moins pour la prévention et le suivi. L’aide se retire assez vite. Alors que juste écouter les besoins des sinistrés et les épauler dans leurs démarches, contribue à un retour plus rapide à la santé», rappelle la Pre Maltais.
Pour cela, il faut arrêter de travailler en silo. « Il faut continuer à documenter ce qui se passe après les inondations et repenser la coordination des interventions de manière globale, entre tous les intervenants, des ministères impliqués aux assureurs, en passant par les équipes de travail social, afin de mettre en commun l’expertise pour y répondre mieux et plus localement », ajoute encore Philippe Gachon.
D’autant plus que les changements climatiques multiplient les évènements extrêmes alors que notre société vieillit, ce qui augmente encore beaucoup sa vulnérabilité face à la montée des eaux et à ses répercussions.