« J’ai failli perdre ma fille de 5 mois à Saint-Justine parce qu’elle a fait une grave méningite bactérienne de type C, et cela, après un vaccin. Les médecins ne se sont pas prononcé sur la cause mais j’ai suivi mon instinct et j’ai refusé que ma fille reçoive ensuite les autres vaccins », raconte Chantal, 52 ans.
L’ancienne éducatrice en CPE de Mercier était, lorsque nous lui avons parlé en décembre dernier, doublement vaccinée contre la COVID. « Je l’ai fait les dents serrées, sous la pression sociale. Je n’étais pas en faveur, mais j’ai changé mon fusil d’épaule pour avoir accès de nouveau à une vie normale, pour continuer à vivre dans ce monde de fous. »
Elle est donc défiante face au vaccin, mais pas face aux mesures sanitaires. « J’étais Mme Purell avant la COVID. Je travaillais auprès des enfants, alors je n’ai pas besoin de me faire dire que je dois me laver les mains. Je suis une femme responsable qui ne veut pas tomber malade, ni donner la maladie. »
Chantal n’est donc pas non plus de celles qui doutent de la COVID. « Bien sûr que je crois que ça existe, j’ai perdu une cousine et un chum de 61 ans. » Elle précise même que le chum était « non vacciné » mais enchaîne tout de suite: « c’est au vaccin que je ne crois pas », en raison « de mon vécu avec les vaccins », et parce que « j’ai un système assez fort; je me suis dis, quand on tombera malade, on se soignera ».
L’hésitation est naturelle
En plus de la méfiance face aux autorités dont des hésitants à la vaccination nous parlaient dans le texte précédent, la peur des vaccins est un élément supplémentaire à prendre en considération.
Craindre les vaccins n’est pas nouveau, confirme l’historienne de la santé et professeur à l’Université de Montréal, Laurence Monnais. Cela remonte aux débuts de la vaccination : « L’hésitation est naturelle et a toujours existé ».
En 1885 par exemple, le Québec a été le théâtre d’émeutes suite au décret de vaccination obligatoire contre l’épidémie de variole.
Et depuis les années 1950, la science et les technologies entourant la vaccination ont progressé si vite que le public n’a pu se les approprier pleinement, soulignait la Pre Monnais dans une analyse sur la vaccination en temps de pandémie parue en octobre dernier.
D’où l’importance, selon elle, d’éduquer la population quant aux intentions de la vaccination et de nouer un dialogue avec les hésitants: des avenues à prendre en considération lors des campagnes de vaccination, en se tenant aussi loin que possible des discours moralisateurs ou contraignants.
« Il faut développer des outils et d’autres façons de faire, loin de la démarche autoritaire de l’État pour imposer la vaccination. Il y a aussi des problèmes d’accessibilité à la santé et de quartiers défavorisés », rappelle l’historienne de la santé. « De nombreuses peurs ont du mal à s’exprimer face aux autorités sanitaires, en plus des critiques de l’industrie pharmaceutiques, qu’il faut aussi écouter. »
Mêmes craintes et mêmes questions
Les mêmes peurs, les mêmes craintes et les mêmes questions reviennent souvent, tout au long des entretiens réalisés pour cette série de reportages. Bien plus que l’inquiétude liée à la COVID, ce sont les vaccins qui suscitent de l’angoisse.
Par exemple, Chantal, 52 ans, qui est doublement vaccinée contre la COVID, mais attribue la méningite qui a failli emporter sa fille à sa récente vaccination. Ou Caroline, 45 ans, qui relate la longue liste des effets secondaires subis après sa 2e dose de Moderna: fièvre, douleurs articulaires… « C’est le plus malade que j’aie été des cinq dernières années », affirme-t-elle. Et elle croit même que le vaccin Pfizer pourrait être responsable du décès de son père, en mars 2021. « Il était âgé de 72 ans et était en forme, malgré un peu d’hypertension et de diabète. Peu après son vaccin, il a fait un infarctus. Les médecins m’ont dit qu’il était « en fin de parcours » et que sa santé a périclité, ce qui est un drôle de hasard et me fait poser beaucoup de questions sur les vaccins ».
Plusieurs des hésitants invoquent que ce ne seraient pas des vaccins « classiques » —et la nouveauté rime souvent, dans la bouche des personnes hésitantes, avec « précipitation » et « ignorance des effets réels». On imagine une technologie peu comprise et aux effets secondaires redoutés.
« Quelques jours après avoir reçu le vaccin en janvier 2021, raconte Mohamed, de Villeray, j’ai contracté le virus et j’ai été vraiment malade. j’ai fait une thrombose pulmonaire, j’ai passé des tests pour les poumons et mon cœur n’allait pas bien. Je suis passé à travers mais je dois prendre des médicaments à vie pour mon cœur. Est-ce la COVID ou le vaccin, je l’ignore » (rappelons que le vaccin met traditionnellement une à deux semaines avant d’être efficace). « Mais par précaution, je ne suis pas allé chercher ma 2e dose », ajoute l’homme de 62 ans.
Les effets secondaires des vaccins à court ou long terme sont ce qui inquiète le plus les hésitants. Mais il ressort des entrevues réalisées que cette crainte était bien ancrée avant la pandémie chez bon nombre d’entre eux.
Mohamed en convient: il a toujours été méfiant des vaccins, même si ses craintes visent plutôt les plus récents. « Les vaccins pour enfants, comme celui contre la rougeole, ont fait leurs preuves et mes enfants ont été vaccinés. Tandis que le vaccin contre la COVID, c’est de l’expérimentation. On ignore encore tout des conséquences à long terme de ce vaccin », soutient encore celui qui a deux grands fils non vaccinés.
« Je ne fais pas confiance d’emblée aux vaccins et ceux-là n’ont pas la même forme que les autres », renchérit Isabelle, 42 ans. « Ce qui me freine, c’est quand c’est nouveau. » Elle fait référence au vaccin à ARN, parce que « nous n’avons pas assez de recul avec cette technologie. Sur les réseaux sociaux, les gens témoignent de toutes sortes de choses et ça m’insécurise beaucoup ».
Elle cite toutefois en exemple l’AstraZeneca, alors qu’il n’est pas un vaccin à ARN. « C’est le dernier que j’aurais pris ». Elle préférerait attendre le vaccin québécois à base de plante, Medicago, si elle choisit de se faire vacciner un jour.
La peur pour ses enfants
Les enfants sont perçus à la fois comme plus fragiles face aux vaccins et aussi, paradoxalement, plus résistants face aux maladies: il vaut mieux construire « naturellement » leur système immunitaire, pensent les parents qui doutent de l’utilité de la vaccination.
Cette hésitation des parents est, elle aussi, classique, résume l’anthropologue médicale à l’Institut national de santé publique du Québec, Ève Dubé. Elle découle de leur perception d’une santé naturelle et de la capacité à pouvoir contrôler les infections avec de bonnes habitudes de vie. « On la retrouve plus souvent chez les parents bien informés et de formation universitaire. »
Cette hésitation « classique », elle la documente depuis longtemps. Dans une étude publiée en 2013, la Pre Dubé et ses collègues notaient déjà une croissance de la perception comme quoi la vaccination était dangereuse et inutile.
Dans une autre étude, en 2015, elle s’attardait plus spécifiquement aux futures mamans qui hésitaient à faire vacciner leurs enfants. Les facteurs qui les faisaient hésiter étaient très hétérogènes – de la volonté de laisser faire la nature (donc les maladies) à la dangerosité appréhendée des vaccins.
Ces mères ne sont pas forcément en désaccord avec les recommandations des autorités de santé publique. Mais elles perçoivent l’immunité naturelle comme supérieure à celle acquise avec la vaccination. En plus de croire que le corps des enfants est capable de gérer les maladies, particulièrement lorsqu’ils ont un mode de vie sain.
Comme la COVID affecte moins gravement les enfants, cela ajoute aux doutes sur l’utilité de les faire vacciner.
« Ma fille de 12 ans n’est pas encore vaccinée, relevait Ouarda lorsque nous lui avons parlé en décembre. Son corps est encore en développement et les enfants ne sont pas très malades avec la COVID. C’est pourquoi je ne comprends pas l’obligation de faire ça. »
« Toutes mes craintes sont par rapport à elle et nous allons attendre le plus tard possible. Mon mari et moi sommes vaccinés – je n’ai pas eu le choix car mes parents vieillissants vivent en Algérie et nous voulons pouvoir voyager rapidement –, mais j’ai encore beaucoup de questions face à ce nouveau vaccin », ajoute-t-elle.
Dans la famille de Ouarda, tout le monde a eu les vaccins de base. « Ma fille a eu tous ses vaccins, c’est plus pour celui-là que je préfère attendre, c’est l’exception ».
« Le vaccin va être mis dans la balance risque-bénéfice même si tout le monde a conscience du danger de la maladie. Ils vont le faire pour eux mais hésiter avant de faire vacciner leurs enfants », résume Eve Dubé.
Soutenir un parent dans sa décision de vacciner
Isabelle, celle qui « ne fait pas confiance d’emblée aux vaccins », est maman d’un bébé qui avait sept mois quand nous lui avons parlé en décembre, et d’une fille de 14 ans. Sa fille est vaccinée. « À son âge, elle a le droit de décider par elle-même. Je lui ai juste demandé pourquoi, mais je ne lui ai pas mis de pression. C’est elle qui choisit pour elle ».
Par contre, elle ignorait encore si elle suivrait le calendrier de vaccination infantile pour son petit dernier. Elle était déjà en retard pour les vaccins donnés à 2 et 4 mois, dont les vaccins du DTPolio, le pneumocoque et le rotavirus. « Je le ferai si c’est obligé pour la garderie, pour certaines maladies qui peuvent revenir : la coqueluche, la rougeole. Nous avons une bonne génétique et c’est un bébé en santé. Est-ce mon instinct maternel qui parle? »
« C’est très émotif et il n’est pas facile de faire changer d’avis un parent », relève le pédiatre Arnaud Gagneur, chercheur à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. « La méthode traditionnelle d’information sur la vaccination ne marche pas bien auprès des hésitants. Ce qu’il faut, c’est leur parler dès la naissance, à la maternité ».
Traditionnellement, le taux des parents qui hésitent avoisine les 40 % – selon les vaccins, cela peut varier – dont 15 % très hésitants et 5 % réfractaires aux vaccins.
Mr Gagneur a développé la stratégie PromoVac: une session informative individuelle basée sur les principes d’un entretien motivationnel (Entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants ou EMMIE). « On répond à un réel besoin d’information, avec bienveillance et écoute – on ne répond qu’aux questions posées par les parents et on aide à résoudre les doutes pour que les familles prennent des décisions éclairées face à la vaccination de leurs enfants », précise-t-il.
Le programme EMMIE augmenterait de 12% la proportion de parents qui désirent vacciner leur enfant parmi les plus hésitants, selon une étude parue en 2019. Il sera bientôt implanté dans toutes les maternités du Québec.
Que vient changer la pandémie ? « On se rend compte que c’est une problématique plus vaste. Il y a une crise de confiance vis-à-vis des autorités de la santé et même, une crise sociétale. On voit ce qui circule sur les réseaux sociaux, toute cette infodémie a mis le feu à la pandémie et nous constatons un durcissement des positions. »
Même du côté des professionnels de la santé, c’est très difficile de déconstruire toutes ces fausses croyances. « De nombreux parents préfèrent un mode de vie naturel, consomment des produits alternatifs, et la vaccination n’en fait pas partie. Il ne faut pas juger ni s’opposer à leurs valeurs mais leur rappeler que l’immunisation, c’est un processus naturel qui reproduit la nature pour stimuler le système immunitaire», sanctionne le Dr Gagneur.