Les rumeurs entourant la suite du surprenant succès de Doctor Strange ont pris toutes sortes de tournures, et ce, jusqu’à la sortie du film en question, ce qui a démultiplié les attentes. Avouons toutefois d’emblée que les cinéphiles risquent d’être foncièrement déçus face à ce film d’un impressionnant désintérêt.
Bien que son nom n’ait plus besoin de présentation, il peut paraître étonnant que la filmographie principale du cinéaste Sam Raimi ne soit pas plus longue. De fait, alors que Disney a refait appel à ses services (d’urgence, précisons-le), voilà que ce dernier se retrouve avec sa première offrande en près d’une décennie. Notons toutefois qu’il n’a toujours rien écrit depuis 2009, soit son très amusant et réussi Drag Me To Hell.
Ici, il prend les rênes du premier scénario de long-métrage de Michael Waldron, créateur de la télésérie Loki, de la même grande machine qu’est Disney Marvel. Autrefois le bébé de Scott Derrickson, l’univers de Doctor Strange se retrouve orphelin de ses concepteurs d’origine. C’est peut-être ce qui expliquerait, dans un premier temps, pourquoi on retrouve si peu de ce qui contribuait autant au succès du premier film.
Alors que Derrickson espérait user de l’usine du MCU pour y implanter son expertise dans le genre horrifique, il est assez sournois de la part de Kevin Feige d’avoir fait appel à Raimi pour le remplacer, lui-même un grand représentant du genre. Le hic, c’est que comme c’était le cas de son très peu recommandable Oz the Great and Powerful (dont en retrouve l’hideux visuel cauchemardesque – et pas pour les bonnes raisons – dans l’horrible scène d’ouverture du film qui nous intéresse), on retrouve bien peu du style de son réalisateur.
Pourtant, à la fois avec le personnage, la présence de la magie tout comme du multivers introduit généreusement avec Spider-Man (deux fois plutôt qu’une d’ailleurs), il y avait une quantité infinie de possibilités pour s’amuser pleinement. Possibilités dont on ne sent qu’une infime partie dans ce film qui se rapproche de la bêtise tellement il n’apparaît en rien comme d’un film à part entière. On le savait, avec cette formule qui a fait ses preuves il y a un sentiment de redites et « épisodesque » qui se fait ressentir, mais rarement un film du MCU aura autant paru essayer de combler les vides, essayer de faire de l’argent et tenter de semer les bases pour les diverses productions à venir que celui-ci. La paresse blasée du studio est d’autant plus apparente qu’au moins une scène majeure du présent film, si ce n’est plusieurs, sont parfaitement visibles dans le logo en ouverture.
Cette porte d’entrée pour Xochitl Gomez et son personnage d’America Chavez apparaît autant gagnante que bâclée tellement on l’a met et nous met face au fait accompli sans trop de circonstances (comme c’était le cas de nombreuses fois auparavant après tout pour ne nommer que le plus récent Spider-Man). Alors qu’en parallèle, les rumeurs de cameos qui enflammaient la toile depuis des mois risquent au final de faire étoffe de pétards mouillés tellement on est loin du « fan service » dont Spider-Man : No Way Home faisait office.
Alors qu’on veut récompenser les bons élèves qui ont tous vu, sans pour autant pénaliser les plus novices, on offre juste assez de références pour donner envie de se lancer ou se relancer dans les œuvres qu’on aurait pu rater, tout en se contentant d’être assez générique pour combler ceux qui seraient seulement tombés sur ce film pour passer le temps.
Le résultat n’en demeure que plus aberrant.
Peut-être est-ce parce qu’on essaie encore de se remettre de la maestria de Everything Everywhere All At Once, mais ici la question du multivers est tellement précaire, simpliste et abstraite qu’on ne peut que critiquer la paresse.
La comparaison est d’autant plus dommageable pour le film, quand on sait pertinemment que Raimi s’en sort toujours mieux avec moins d’argent, lui qui a été pendant si longtemps un modèle pour les impressionnants films faits à partir de rien. Comme quoi son fascinant Darkman risque de ne jamais trouver de véritable successeur.
On sent toutefois ici et là une certaine volonté de retourner à ses premiers amours. Il y a quelques transitions, des petits tours de montage, un cameo précis et cette exploration de thématiques fétiches comme le bien, le mal et la mort, tout comme de la vie après la mort, mais dans une version tellement réduite et contenue que cela n’en apparaît que plus crève-cœur. Même une rare scène a priori prometteuse impliquant de la musique finit par manquer de cadence.
À ce titre, la présence prévisible de Danny Elfman à la musique fait une abstraction presque totale des amusantes compositions de Giacchino, sans vraiment apporter quoique ce soit de nouveau ou un tant soit peu intéressant à l’ensemble.
Et c’est d’autant plus gênant de les voir essayer d’incorporer de l’horreur sans pour autant en faire, tout comme d’oser quelque chose d’étonnamment intimiste sans avoir la possibilité d’accorder de la profondeur à cette proximité (on dira ce qu’on voudra sur Eternals, il réussissait bien mieux cette hauteur d’âme ironiquement plus « humaine »). La psychologie de Stephen est réduite à néant, alors qu’on n’arrive aucunement à exploiter les aspects les plus intéressants des nombreux dilemmes qu’on nous présente.
Par ailleurs, l’inconsistance de Wanda est aussi impertinente qu’à chacune de ses apparitions dans un des films de Marvel, impossible de ne pas penser à cette réplique qu’on n’a toujours pas oubliée : I don’t even know who you are.
On évitera donc de s’étirer plus longuement sur un film qui à l’inverse n’en offre que bien peu à se mettre sous la dent. Doctor Strange in the Multiverse of Madness représente néanmoins un certain miracle : soit d’arriver à ne rien faire de satisfaisant autant avec le talent réuni que les possibilités qui lui étaient offertes et ce, pratiquement sur un plateau d’argent.
4/10
Doctor Strange in the Multiverse of Madness prend l’affiche en salle ce vendredi 6 mai. Plusieurs représentations ont lieu ce jeudi.