Véritable mastodonte de la culture populaire, King Kong a eu droit à de multiples réinterprétations depuis sa toute première apparition en 1933, mais aucune n’est parvenue à utiliser le gorille géant de manière aussi originale et divertissante que la bande dessinée The Kong Crew d’Éric Hérenguel, qui a déjà deux tomes à son actif.
Il ne suffit parfois que d’un tout petit changement pour faire une grosse différence, comme le prouve The Kong Crew. Alors que, dans le film de 1933 mettant en vedette Fay Wray et Robert Armstrong, King Kong est blessé par le tir des avions militaires et chute vers sa mort depuis le sommet de l’Empire State Building, dans l’univers parallèle imaginé par Éric Hérenguel, le gargantuesque gorille faisant onze tonnes de muscles, de nerfs et d’instinct de prédation, a eu le dessus sur l’armée américaine, forçant l’évacuation complète de Manhattan, qui est désormais une zone interdite sur laquelle le monstre règne. L’action de la bande dessinée prend place en 1947, soit quatorze ans après ces événements.
Dans le premier tome, intitulé Manhattan Jungle, un professeur et un journaliste réussissent à s’introduire illégalement sur l’île, qui n’est pas aussi déserte que l’on pourrait le penser. Le Kong Crew, une escouade de pilotes d’élite de la US Air Force, est alors envoyé en mission de reconnaissance, mais malheureusement, fauché par King Kong, l’avion de Virgil Price s’écrase. Le jeune homme parvient tout de même à envoyer un signal de détresse depuis le sommet de l’Empire State Building. Dans Hudson Megalodon, le deuxième tome de la série, une brigade de soldats est envoyée à sa rescousse, mais Virgil est maintenant prisonnier d’un étrange groupe d’Amazones, composé d’orphelines abandonnées sur les lieux au moment de l’évacuation et ayant établi leur quartier général dans le Metropolitan Museum.
Tout en livrant une sorte de lettre d’amour aux films fantastiques des années 1940 et 1950, Éric Hérenguel injecte une sensibilité bien moderne à The Kong Crew. Bien qu’il évolue dans un monde dominé par le machisme, encore plus omniprésent au sein des forces armées, le personnage principal de Virgil Price détonne par sa timidité à l’égard des femmes, ce qui lui vaut d’être surnommé « Virgin » par les autres pilotes de son escadron. Il s’amourache de la fille du colonel Pearl, Betty, une féministe avant l’heure se moquant bien des conventions et du sexisme de l’époque. Avec son mélange de grande aventure, de monstres préhistoriques et d’humour, on peut parler d’une bande dessinée de série B, mais dans le bon sens du terme.
Malgré des personnages assez typés, c’est surtout par son univers unique que The Kong Crew se démarque. À cause d’un parasite vivant dans le poil de King Kong, des mutations sont survenues auprès des différentes espèces animales se trouvant sur l’île, et Manhattan est désormais peuplée par des créatures que l’on croyait disparues, dont des ptérodactyles dans le ciel, des mammouths à Central Park, un mégalodon dans l’Hudson River, ou des vélociraptors écumant les rues. Ajoutant une touche de légèreté à la bande dessinée, Spit, le teckel de Virgil, s’est caché dans les rations de survie que l’armée américaine a larguées, et pourchassé par les monstres préhistoriques, le pauvre toutou tente, tant bien que mal, de retrouver son maître.
Les illustrations d’Éric Hérenguel dans The Kong Crew combinent le dynamisme et l’action des comics américains à l’amour du détail et au côté plus artistique de la bande dessinée franco-belge. Les dessins sont à la fois réalistes, colorés, et sympathiques. Clairement, Hérenguel s’amuse beaucoup avec cet univers rétro, et sa façon de dépeindre une Manhattan envahie par l’ère paléozoïque donne lieu à des scènes vraiment saisissantes : arbres et lianes envahissant les paysages urbains, gratte-ciels en ruines, pont de Brooklyn condamné et coupé en deux, montagne de voitures d’époque clôturant l’arène des Amazones, ou avions poursuivis en plein vol par des ptérodactyles. Les deux albums se terminent sur une galerie de couvertures alternatives, et le premier tome comprend aussi un carnet de croquis.
Proposant un divertissement léger mais, très efficace, c’est avec beaucoup de plaisir que l’on déguste les deux premiers tomes de The Kong Crew. Pas étonnant que l’univers foncièrement original concocté par Éric Hérenguel soit en voie d’être adapté en série d’animation.
The Kong Crew – Tome 1: Manhattan Jungle, de Éric Hérenguel. Publié aux éditions Ankama, 64 pages.
The Kong Crew – Tome 2: Hudson Megalodon, de Éric Hérenguel. Publié aux éditions Ankama, 72 pages.