Il y a de ces pièces qui vous laissent sans voix. Après tout, on ne va pas s’enfermer dans une salle, pendant deux heures – avec masque, s’il vous plaît –, uniquement pour être divertis. En ce sens, Atteintes à sa vie, une pièce de Martin Crimp, montée sur les planches de l’Usine C, respectera la convention non écrite consistant à brasser la cage. Quant à savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose…
Qui est Anne, au fait? D’ailleurs, est-ce vraiment comme cela qu’elle s’appelle? Tour à tour, la voilà décrite comme une fille un peu dissolue, comme une actrice porno, comme membre d’une cellule terroriste. Et sur scène, quatre comédiens s’en donnent à coeur joie dans ce qui ressemble à une pièce dans une pièce, ou, à tout le moins, à une exploration à plusieurs niveaux de cette personnalité multiple dont les contours sont nimbés de mystère.
En fait, avec cette nouvelle pièce, Martin Crimp passe à un autre niveau: plutôt que d’avoir une poignée d’acteurs déclamant un texte, tout en circulant dans un espace prédélimité, voilà qu’il libère, en quelque sorte, ces mêmes comédiens. D’ailleurs, l’oeuvre est si éclatée que les quatre personnes se trouvant sur scène auraient très bien pu s’adonner à de l’improvisation et le public n’y aurait sans doute vu que du feu.
Est-ce une bonne chose? Il est clair que les spectateurs cherchant à obtenir une certaine trame narrative centrale, quitte à accepter une multitude d’embranchements, seront ici plus que dépaysés. On voyage de scène en scène comme si l’on s’était emparé d’une télécommande pour changer frénétiquement les postes. En ce sens, Crimp réalise peut-être un tour de force. D’abord, parce que les textes et les indications de scène, pour ce genre d’oeuvre, doivent être titanesques, et exiger un travail colossal de la part des comédiens. Ensuite, parce que la forme prime ici largement sur le fond, en un certain sens, en s’inscrivant clairement à l’encontre des tendances lourdes du milieu. On aura beau vanter la scène inondée et l’excellente scénographie de Pétrole, par exemple, lorsque l’on passe de l’évocation de graves crimes de guerre à une danse lascive accompagnée d’un strip-tease, le tout sur une scène surélevée surplombée d’une cage, nous avons atteint un autre niveau.
Cela étant dit, il est possible qu’Atteintes à sa vie soit trop. Trop audacieux, trop transgressif, trop brouillon, trop éclaté, trop frondeur. À un certain moment, il existe un risque de décrochage, de se dire que l’auteur s’est lancé dans un délire scénique, et que la mise en scène, signée Philippe Cyr, est à l’avenant.
Bref, si le côté technique est plus qu’impressionnant, si la performance des acteurs est assurément de haut niveau, Atteintes à sa vie laisse une drôle d’impression, une fois les lumières rallumées (et la machine fumigène éteinte). Ce journaliste aura ensuite besoin de plusieurs heures pour se remettre de son expérience et mettre de l’ordre dans ses pensées.
Atteintes à sa vie, de Martin Crimp, dans une mise en scène de Philippe Cyr; avec Maxime Genois, Karine Gonthier-Hyndman, Iannicko N’Doua et Ève Pressault. À l’Usine C jusqu’au 30 avril.