Il est impensable d’aller voir Pétrole, la pièce de François Archambault donnée à Duceppe, et espérer passer un bon moment. Non pas parce que l’oeuvre n’est pas agréable, qu’elle est mal jouée, ou que les textes ne sont pas à la hauteur, loin de là. Mais devant son propos, devant le constat d’échec que l’on nous présente.
Car c’est bien d’un constat d’échec qu’il est question: celui de Jarvis Larsen, scientifique environnementaliste embauché par une pétrolière, à la fin des années 1970, et qui a porté de toutes ses forces le dossier des changements climatiques. Mais devant l’impassibilité de ladite entreprise et du gouvernement américain, le voilà qui, 40 ans plus tard, est accusé d’avoir allumé certains des feux de forêt qui ont profondément ravagé la Californie en 2018.
Inspirée de faits rapportés dans le New York Times, comme l’a d’ailleurs mentionné l’auteur dans une entrevue accordée un peu plus tôt à Pieuvre.ca, Pétrole raconte donc ce clash entre l’idéalisme et le réalisme, entre l’attentisme et le laisser-faire, entre l’espoir et l’ignorance pure et dure, entre l’altruisme et la quête démentielle du profit.
Avec une distribution emmenée par l’excellent Simon Lacroix, les textes de Pétrole sont magistralement épaulés par la mise en scène d’Édith Patenaude. Sans vouloir trop donner de détails et gâcher le plaisir des spectateurs, il suffit de savoir que la grande, voire très grande scène de Duceppe est utilisée ici à son plein potentiel, et que l’utilisation de très vastes éléments de décors, paradoxalement presque les seuls éléments à être utilisés ailleurs que sur le plancher des vaches, vient superbement renforcer ce sentiment d’écrasement devant l’inéluctabilité apparente des conséquences de la crise climatique.
Par contre, on sent quelques moments de flottement, ici et là… Comme si M. Archambault avait senti le besoin de permettre à ses personnages de souffler un peu, histoire d’éviter que l’engagement environnemental ne prenne des allures de cette pierre que Sisyphe tente désespérément de monter en haut de cette pente.
Et nous voilà donc deux heures plus tard, fort heureux du niveau de jeu, de la justesse de l’utilisation des divers éléments de décor, de la musique, de l’éclairage… Mais avec une boule dans le ventre. Non seulement parce que depuis un demi-siècle, la cupidité humaine a eu le dessus sur la volonté de survie et de protéger le seul environnement naturel que nous possédons; non seulement parce que le plus récent rapport du GIEC, publié il y a quelques jours à peine, ne nous donne plus que trois ans pour redresser le cap, alors que nous avions autrefois 50 ans devant nous, mais aussi parce qu’en cette soirée de première, c’était aussi une soirée bénéfice, et que s’il est tout à fait normal que Duceppe ait besoin de fonds pour financer ses pièces, le monde où la culture a besoin du financement d’entreprises parce que le régime fiscal ne permet pas de subvenir aux besoins des artistes est le même monde où des entreprises, notamment des banques, qui investissent encore dans le pétrole, ne semblent pas voir l’ironie d’envoyer des représentants assister à une pièce telle que Pétrole.
Il y a de quoi voir rouge… Même s’il faudrait voir vert. Tout pour ne pas voir noir, la couleur de l’or sale, certainement.
Pétrole, de François Archambault, dans une mise en scène d’Édith Patenaude, avec Éric Bernier, Frédéric Blanchette, Louise Cardinal, Jean-François Casabonne, Paméla Dumont, Ariel Ifergan, Simon Lacroix, Jean-Sébastien Lavoie, Marie-Ève Milot, Olivia Palacci et Elkahna Talbi. Chez Duceppe jusqu’au 14 mai.