L’ambiance à la Cinémathèque québécoise était enveloppée d’une fébrilité rassembleuse, mercredi matin, alors qu’on présentait avec énormément de fierté les deux premiers épisodes du Temps des framboises, une collaboration entre le cinéaste Philippe Falardeau et Florence Longpré qui crée certainement l’événement, quelques mois après avoir été applaudie à Berlin.
Ce n’est pas sur un coup de tête que Philippe Falardeau a voulu se lancer dans sa première série, après une dizaine de longs-métrages, dont plusieurs avec des acteurs internationaux de grand calibre, allant de Sigourney Weaver à Naomi Watts. Bien qu’il a voulu le préciser, tout comme mentionner qu’il a plutôt été séduit par un projet, avant d’établir avec ses autres créateurs qu’un plus long format serait le plus adéquat, on sent néanmoins que son affection à l’œuvre est d’une grande immensité.
S’il a veillé au soin de tous les détails, jusqu’aux conditions optimales de la projection d’ailleurs, Falardeau est catégorique : il ne s’agit pas de dix moyens-métrages, mais bien d’un long-métrage de sept heures et demie (soit la durée de 10 épisodes d’environ 45 minutes chacun).
Et après avoir visionné les deux premiers épisodes, il est clair que sa vision est prête à se tenir debout tout du long, à se faire suite et à se laisser savourer comme telle en donnant vie à sa manière à l’univers riche imaginé par Florence Longpré et Suzie Bouchard. D’ailleurs, quiconque est un peu familier avec le style d’écriture et de jeu de Longpré pourra aisément en reconnaître son absurdité, son humour et son rythme dans une majorité de situations, de répliques et de personnages.
Longpré continue d’ailleurs de braquer son regard sur les êtres marginaux alors qu’on dit s’intéresser ici aux murs qui tombent entre tous. Après tout, Le temps des framboises, dans des circonstances loin d’être idéales, raconte avec beaucoup de soin la confrontation de divers univers particulièrement divergents, gardant en son cœur et son centre le personnage d’Elisabeth interprétée avec grâce et justesse par Sandrine Bisson dans le meilleur d’elle-même, heureusement loin des partitions plus névrosées qu’on a malheureusement trop souvent l’habitude de lui donner.
Une protagoniste qui voit sa croisée des chemins s’amplifier de manière inestimable, en essayant de retrouver l’équilibre face à tout ce qui l’entoure, de sa belle-famille à la vie agricole, à ses employés étrangers, et jusqu’à sa propre famille.
Il n’y a pas à dire, les travailleurs saisonniers semblent inspirer nos créateurs dernièrement. Après le trop peu vu, mais pourtant magnifique Les oiseaux ivres (qui a bien failli se rendre aux Oscars), voilà que la série qui nous intéresse s’y penche, invitant aux passages de très prometteurs acteurs majoritairement mexicains.
Ce qu’on apprécie aussi c’est qu’en empruntant la voie de la série on garde une essence cinématographique tout en se donnant la liberté de laisser respirer l’histoire sans l’étouffer ni donner l’impression de remplir les vides. Il faudra valider que cette impression est conservée pendant les huit épisodes suivants, mais disons que l’élégance de la série n’a d’égale que sa richesse, soit, celle-là même qui parvient à faire rire et pleurer dans la même phrase.
D’ailleurs, si certains passages humoristiques paraissent plus prévisibles ou forcés, la majorité atteint leur cible alors qu’on risque de ne plus jamais entendre la chanson Poussière d’ange de la même façon.
Le soin musical est d’ailleurs comme toujours garanti en plus de miser à nouveau sur la collaboration renouvelée avec Martin Léon (dont on espère encore la sortie des toujours excellentes trames sonores de leurs créations précédentes).
On soulignera aussi la présence d’un personnage malentendant permettant d’ajouter le langage des signes au français, à l’anglais et à l’espagnol, qui viennent tous ponctuer les dialogues du récit. À cela, on souhaite que les sous-titres pour malentendants seront au point pour ceux qui visionneront la série à la maison comme la projection en était seulement dotée pour les passages qui n’étaient pas en français, détail un peu dommage pour les malentendants présents sur place, dont l’interprète du personnage en question.
Enfin, on laissera au spectateur le soin de se plonger dans cet univers qui donne décidément envie de s’y investir. Falardeau n’a que d’éloges pour son expérience, mais aussi pour toute son équipe, évoquant qu’il n’a jamais ressenti une telle liberté créatrice dans un scénario que depuis son premier long-métrage La moitié gauche du frigo. On le prendra au mot et on admettra qu’une telle déclaration vaut certainement son pesant d’or.. et de framboises.
La série Le temps des framboises est disponible dès aujourd’hui en exclusivité aux abonnés du Club Illico de Vidéotron.