Est-ce un problème de marketing? De disponibilité des contenus? Ou, simplement, est-ce le fait qu’il existe un océan de films et séries télé à découvrir et redécouvrir? Le fait est que Severance, série télé créée par Dan Erickson, notamment réalisée et produite par Ben Stiller, et diffusée sur Apple TV+, n’a été découverte par ce journaliste qu’au détour d’une entrevue attrapée sur les ondes de la radio de Radio-Canada, l’une des responsables des décors étant québécoise. Fort heureusement, cette découverte s’est avérée être tout à fait avantageuse.
Dans la vie de tous les jours, Mark Scout est un type ordinaire, employé par la mégacorporation Lumon, et qui se remet difficilement de la mort de sa femme, quelques années plus tôt. Mais une fois M. Scout entré dans la section « séparée » du sous-sol de Lumon, il devient Mark S., employé de bureau qui ignore tout de ce qui se passe à l’extérieur, lorsqu’il reprend l’ascenseur vers la surface, à la fin de la journée.
Car voilà la méthode à la fois ignoble et terrifiante employée avec certains travailleurs de l’entreprise: séparer les mémoires entre le bureau et la vie extérieure. Idéal pour conserver des secrets, sans doute, mais aussi parfaite pour créer une armée de salariés obéissants qui ne pensent pas à leur famille, leurs hobbys, ou encore les événements dans l’actualité.
Le contexte est déjà inquiétant; ajoutez à cela une ambiance mêlant le côté un peu délirant d’Office Space, avec l’équivalent d’un culte voué aux fondateurs de Lumon, des avantages délirants pour les « bons travailleurs » – qui a envie de manger des gaufres? – et des collègues et patrons semblant ne pas posséder de capacités d’interagir sur le plan social, et l’aspect étrange et mystérieux de Lost, avec un labyrinthe de corridors, des phénomènes inexpliqués et l’impression de plus en plus présente qu’il se cache quelque chose de fortement sinistre derrière l’ensemble de la chose, et vous obtenez ce qui est probablement la série à la fois la plus étrangement drolatique et étrangement épeurante.
Avec une excellente distribution – le très juste Adam Scott, Britt Lower, la fantastique Patricia Arquette, Zach Cherry, le détestablement génial Tramell Tillman, sans oublier John Turturro et nul autre que Christopher Walken –, cette première saison de Severance lève le voile sur un monde auquel il pourrait être difficile de s’intéresser, de prime abord.
Cependant, et c’est là tout le génie de cette série, les mystères y sont expliqués avec une justesse qui rend honneur à l’équipe se trouvant derrière la caméra. Avec comme résultat que l’on découvre bien rapidement que l’on est accroché, que l’on parcourt avec un plaisir non dissimulé les différentes publications sur la section réservée à la série de l’agrégateur Reddit, et que l’on attend avec impatience l’épisode suivant. Ou, dans ce cas-ci, la saison suivante.
Il y avait pourtant bien des écueils à éviter. S’il a déjà été question de Lost, plus tôt dans ce texte, c’est que cette série est à la fois célèbre pour son océan de mystères et de conspirations… Mais aussi pour la façon parfois franchement cavalière dont des embranchements scénaristiques ont été abruptement abandonnés. Oui, il y a toujours le risque que la ou les saisons subséquentes de Severance tombent dans le même piège, surtout si Apple décide de prolonger indûment l’intrigue en raison de la popularité de l’émission, mais pour l’instant, les créateurs sont bien en selle, et on n’a jamais l’impression que les spectateurs sont pris pour des idiots à qui l’on présente toutes sortes d’étrangetés dans le simple but de les garder installés devant leur écran.
Il faudra donc prendre son mal en patience pour connaître la suite des aventures dystopiques de Mark, Helly, Dylan et Irving. Mais une chose est sûre: Severance est déjantée, étrange, surprenante, drôle, inquiétante, prenante… Bref, un grand succès qui gagne amplement à être découvert et consommé allègrement.