S’il est donné quatrième au premier tour de la présidentielle française, derrière Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélanchon, le polémiste et politicien d’extrême droite Éric Zemmour pourrait-il créer la surprise en mobilisant sa base électorale et ses abonnés sur les réseaux sociaux, qui se comptent par centaines de milliers?
À cette question, l’organisation britannique HOPE Not Hate n’apporte pas de réponse, mais elle soutient, données à l’appui, que M. Zemmour dispose d’une machine médiatique hors du commun pour faire connaître ses idées d’extrême droite, notamment son opposition à l’immigration, et ses positions racistes.
Ainsi, que ce soit sur YouTube, sur Twitter ou encore sur Telegram, notamment, le candidat laisse ses rivaux bien loin derrière.
Sur le réseau de Google, ainsi, M. Zemmour a beau avoir publié à peine plus de 100 vidéos depuis la mise en ligne de sa chaîne officielle, en avril de l’an dernier, on y recense 448 000 abonnés, « soit près du double de ceux d’Emmanuel Macron et près de huit fois ceux de Marine Le Pen », mentionne le rapport.
Plus grand nombre de messages envoyés aux abonnés Twitter et Telegram, plus grand nombre d’interactions avec ses abonnés… Le candidat d’extrême droite semble avoir compris comment susciter de l’engouement au sein de ses électeurs avérés ou potentiels.
De fait, dès le départ, écrivent les auteurs du rapport intitulé Eric Zemmour And His Rise on Social Media Platforms, le ton était donné: lorsqu’il a annoncé qu’il se lançait officiellement dans la course à la présidence, fin novembre 2021, Éric Zemmour a tenu l’événement sur YouTube, plutôt que d’organiser une conférence de presse.
« La France est maintenant confrontée aux mêmes questions (concernant l’utilisation des médias sociaux, et leur côté potentiellement dangereux) que l’ont été les États-Unis et le Royaume-Uni en 2016 », année de l’élection de Donald Trump et du référendum sur le Brexit, mentionne-t-on dans le document.
« Malgré plusieurs condamnations pour discours haineux, sa croissance exponentielle sur les médias sociaux, en tant que candidat à la présidentielle, a placé Éric Zemmour au centre du débat politique, en France. »
Et en se tournant vers les médias sociaux, indiquent encore les auteurs du rapport, le candidat a réussi à contourner les règles strictes des annonces politiques à la télévision, notamment, et rejoindre ainsi un plus vaste auditoire. Ainsi, sur Facebook, son parti, Reconquête, a dépensé environ le double du Rassemblement national, la formation de Marine Le Pen, pendant la période examinée par les spécialistes.
Profiter des tendances de l’algorithme
En s’intéressant de plus près aux méthodes employées par l’équipe de campagne de M. Zemmour, une tendance se dessine: celle consistant à inonder Facebook pour susciter des interactions et des commentaires, deux particularités dont se nourrit l’algorithme de la plateforme américaine.
Ainsi, « des centaines de bénévoles ont rejoint une vaste gamme de groupes Facebook, allant des amis des chats aux militants politiques, afin d’y publier du contenu pro-Zemmour. En inondant ces groupes, et en commentant le plus possible, le profil de M. Zemmour était ainsi amplifié par la plateforme ».
Selon Vincent Bresson, un journaliste qui a infiltré cette campagne d’extrême droite, « des bénévoles pouvaient copier et coller du contenu déjà préparé, provenant du site internet du candidat, sur des dizaines de groupes différents ».
« Un autre groupe de bénévoles se concentrait sur l’édition des pages Wikipédia consacrées à M. Zemmour », indique encore M. Bresson dans des propos rapportés par les auteurs de l’étude.
Toujours sur Facebook, si Éric Zemmour n’y est pas le plus « populaire », avec parfois jusqu’à 20 fois moins d’abonnés que le président sortant, Emmanuel Macron, par exemple, son équipe a toutefois publié quelque 2000 messages entre janvier 2021 et mars 2022, comparativement à seulement 500 pour l’équipe du chef de l’État.
Mais c’est sur Telegram que M. Zemmour semble avoir trouvé son public, avec plus de 30 000 abonnés à sa chaîne, contre environ 6000 pour Mme Le Pen. « Cela pourrait s’expliquer par le fait que les partisans de l’extrême droite avaient déjà migré vers Telegram après avoir perdu leurs plateformes plus centrales, comme Twitter et Facebook », indique encore le rapport.
Cette popularité en ligne ne se transpose toutefois pas toujours sur le terrain de la politique et des intentions de vote; non seulement les prises de position racistes du candidat ont rebuté plus d’un électeur français, mais Éric Zemmour a également commis plusieurs erreurs importantes, allant entre autres déclarer, avant le début de la guerre en Ukraine, que Vladimir Poutine n’envahirait pas son voisin.
Le candidat a aussi déclaré qu’il ne souhaitait pas que la France accueille des réfugiés ukrainiens, avant de faire volte-face.
Après une envolée dans les sondages au début de la course (et même avant le déclenchement officiel), voilà donc qu’un nouveau duel, plus serré, cette fois, se dessine entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais cela ne veut pas dire qu’Éric Zemmour a dit son dernier mot, jugent les auteurs du rapport: « Peu importe les résultats de l’élection française, M. Zemmour devrait demeurer une figure importante dans le paysage politique français, et dans les cercles de l’extrême droite. Sa capacité à définir l’ordre du jour et établir les thèmes des débats politiques a été facilitée par son succès dans l’utilisation des diverses plateformes sociales en ligne. Malgré le code électoral et les politiques des médias sociaux, M. Zemmour a réussi à instrumentaliser les plateformes pour accroître sa portée. »
Et ceux-ci, de conclure: « Peu importe ce qui se passe durant les élections, la campagne d’Éric Zemmour a augmenté la taille du public et l’aspect normalisé des idées de l’extrême droite. »