Une nouvelle étude publiée dans Oxford Open Economics indique que si les services financiers numériques sont souvent proposés comme une façon de réduire les inégalités, le coût et les barrières en matière d’infrastructures pour accéder à la téléphonie mobile pourraient amplifier les disparités économiques chez les femmes vivant dans des pays en développement.
De précédents travaux de recherche avaient laissé entendre que les services financiers en ligne avaient le potentiel de réduire les inégalités. Pendant la pandémie de COVID-19, plusieurs gouvernements sont passés à des monnaies numériques ou des paiements électroniques. Le gouvernement du Rwanda a ainsi accru son recours à des transferts électroniques. Le Sénégal, lui, a développé l’utilisation de l’argent pouvant être transmis par téléphone cellulaire, en plus de réduire les frais pour ce genre de services. Au Ghana, il est maintenant possible d’effectuer des transferts d’argent via des plateformes financières pour téléphonie mobile.
Mais autant l’identité des gens participant à ces programmes que la possibilité que les programmes en question permettent de rejoindre les populations les plus vulnérables dépendent de la distribution de services financiers numériques. La nouvelle étude s’intéresse justement à cette question double en étudiant la qualité des infrastructures physiques et des réseaux de téléphonie mobile, en plus de se pencher sur des caractéristiques individuelles comme l’éducation, et leur impact sur la capacité d’accéder à de tels services.
En utilisant des sondages appelés Demographic and Health Surveys, ainsi que plusieurs bases de données provenant du Népal, des Philippines, du Sénégal et de la Tanzanie, l’étude a examiné l’utilisation des services financiers numériques chez femmes, tout comme les infrastructures qui soutiennent ces réseaux, y compris les antennes cellulaires, le tout comparé à la finance traditionnelle.
Le programme des Demographic and Health Surveys, géré par l’Agence américaine pour le développement international, est un ensemble de sondages croisés conçus pour représenter les populations d’un pays. Bien qu’il s’agisse surtout d’un coup de sonde sur la santé féminine, la version de 2016 de ce programme comprend des questions sur la possession (ou non) d’un compte bancaire et si les répondants utilisaient un téléphone cellulaire pour effectuer des transactions financières.
Les résultats indiquent que les mêmes inégalités liées à la finance traditionnelle pourraient avoir de graves conséquences en matière d’accès aux services financiers numériques. Le fait de vivre dans un centre urbain est associé, de façon positive, à la fois à l’utilisation des services financiers traditionnels et à ceux de la finance en ligne, une tendance importante aux Philippines, au Sénégal et en Tanzanie. Ces données semblent indiquer que les femmes vivant dans ces endroits sont de 3,4 à 15,7 % plus propices à utiliser les services financiers traditionnels et de 0,4 à 13 % plus propices à se tourner vers les services financiers en ligne.
Payer cher, très cher
Dans tous les pays étudiés, les inégalités en matière de richesse et d’éducation se transposaient aussi du côté de l’utilisation des services bancaires mobiles, et ce de façon encore plus marquée que pour la finance traditionnelle.
Dans tous ces pays, de plus, une richesse plus importante est associée à une plus grande probabilité d’utiliser un téléphone cellulaire. Ceux se trouvant dans le quintile le plus riche de la population ont de 9,3 à 27,2 % plus de chances d’utiliser un appareil mobile. Par exemple, en Tanzanie, même les appareils les plus abordables coûtent l’équivalent de 5 % du revenu annuel pour ceux se trouvant dans le plus bas quintile de la distribution des richesses, même avant de payer pour le forfait cellulaire.
Les coûts pour l’accès à internet haute vitesse sont encore plus importants: au Népal, aux Philippines, au Sénégal et en Tanzanie, un gigaoctet de données mobiles coûte 9,1, 3,8, 10,2 et 8,7% du revenu mensuel moyen, respectivement. De plus, l’effet moyen marginal associé à au moins une année d’éducation est aussi important, alors que chaque année d’école est associée à une hausse de 1,2 à 2 % des probabilités d’utiliser les services bancaires mobiles, comparativement à des probabilités augmentées de 0,9 à 3,1 % d’utiliser les services financiers traditionnels.
L’analyse a permis d’établir que l’utilisation des services bancaires mobiles demeurait largement inégale et que les infrastructures physiques qui y sont liées, comme les tours cellulaires, suivent les mêmes tendances que les institutions financières traditionnelles. Il semble donc que les activités bancaires mobiles ne soient pas particulièrement efficaces pour lutter contre les inégalités en matière d’accès aux services financiers des femmes dans les pays en développement, alors que ce sont justement les femmes, dans ces pays, qui s’occupent généralement de gérer les finances familiales.
« Les technologies numériques sont particulièrement prometteuses en ce qui concerne l’amélioration de l’accès aux services financiers », mentionne l’autrice de l’étude, Laura Caron.
« Cependant, nous devons nous assurer que les infrastructures nécessaires sont en place pour que cela fonctionne. Nous devons aussi encourager la littératie financière et rendre les technologies numériques abordables si nous voulons espérer rejoindre ceux qui ont été exclus de la finance traditionnelle. À elles seules, les nouvelles technologies ne résoudront pas les problèmes d’inégalité si nous ne nous assurons pas que les gens y aient accès. »
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