Fruit de six ans de travail, la bande dessinée Un Paris pour Dallaire de Siris et Marc Tessier fait œuvre utile, en sortant de l’ombre un artiste québécois malheureusement méconnu du grand public, le peintre Jean Dallaire.
Contrairement à Jean-Paul Riopelle, Alfred Pellan, Jean-Paul Lemieux, Paul-Émile Borduas et autres grands noms de l’art pictural québécois, l’œuvre de Jean Dallaire est beaucoup moins connue du grand public, même si son talent est comparable à celui de ses célèbres pairs. Heureusement, Marc Tessier et Siris viennent corriger cette grande injustice avec Un Paris pour Dallaire, une bande dessinée biographique revenant sur les grands moments de la vie de cet artiste autodidacte né à Hull en 1916 au sein d’une famille pauvre de onze enfants et qui, sans éducation ou connaissance préalable des arts, parviendra à s’imposer en forgeant un style visuel unique, empreint d’un imaginaire aussi coloré que personnel.
Ému par l’une de ses toiles, c’est un religieux, le père Lévesque, qui donnera sa première chance à l’artiste, en lui proposant un atelier dans son monastère en échange de la réalisation de tableaux religieux. Dallaire suivra ensuite des cours aux Beaux-Arts de Montréal en 1938 afin d’obtenir une bourse pour étudier à Paris, à l’atelier d’arts sacrés de Maurice Denis puis à l’Académie d’André Lhotte. Il découvre une grande liberté créatrice en France, jusqu’à son emprisonnement dans un camp de concentration sous l’occupation allemande, où il passera quatre années de sa vie. Il revient au Canada en 1945 et se voit nommé professeur à l’École des Beaux-Arts de Québec, avant d’être licencié et de travailler pour l’ONF. Ravagé par l’alcool, il décède en 1965, alors qu’il n’a que 49 ans, laissant derrière lui une riche œuvre.
Le scénariste Marc Tessier (qui nous a donné l’excellente bande dessinée René Lévesque : Quelque chose comme un grand homme) n’en est pas à sa première œuvre biographique. S’il n’est pas évident de choisir le métier d’artiste de nos jours, la situation était encore pire dans le Québec d’avant la Révolution tranquille, et en plus de condenser le parcours difficile de ce peintre méconnu en l’espace d’à peine 120 pages, il nous permet surtout de comprendre le contexte de l’époque, en décrivant un milieu artistique qui accordait une importance exagérée au réalisme, et qualifiait le modernisme « d’art dégénéré ». Il dépeint aussi l’emprise de la religion, alors que les gens ouvraient la radio pour faire la prière de 7h00 du matin avec le Cardinal Léger, mais que, paradoxalement, l’Église était la seule mécène des artistes.
À l’instar de Jean Dallaire, Siris a lui aussi développé un style unique et original au fil des ans. Il était donc la personne idéale pour illustrer cette bande dessinée biographique. Ses images sont chantantes, et au lieu de chercher à reproduire la réalité, il injecte une touche d’onirisme et de poésie à ses dessins. Dans l’atelier où la toile en cours Coq Licorne trône par exemple, les pattes du chevalet sont des tarses dotés d’ergots. Siris sort de sa zone de confort dans cet album pour reproduire des œuvres de Dallaire, mais aussi de Matisse, Picasso ou Alfred Pellan, et ses compositions graphiques sont vraiment créatives. On voit le peintre monter un escalier traversant trois étages de cases, comme dans un jeu serpents et échelles, et il insère la pagination dans une boîte de conserve traînant dans le caniveau, sur une feuille de papier au sol, ou dans une flaque d’eau. Il assume aussi la coloration, et celle-ci, magnifique, rehausse bien son travail graphique.
La bande dessinée constitue le médium parfait pour raconter la vie d’un artiste visuel, et en plus de nous permettre de comprendre son parcours et sa démarche, Un Paris pour Dallaire donne le goût de découvrir les œuvres de Jean Dallaire. Que demander de plus d’une biographie?
Un Paris pour Dallaire, de Siris et Marc Tessier. Publié aux éditions La Pastèque, 120 pages.