Avec chaque événement météorologique extrême, la même question resurgit: cet événement aurait-il pu avoir lieu en l’absence de réchauffement climatique? Et la réponse a longtemps été la même: il est impossible d’attribuer un seul événement au réchauffement climatique. La réponse est pourtant moins tranchée que jadis, constate le Détecteur de rumeurs.
L’origine du problème
Au départ, il est normal que les scientifiques aient traditionnellement eu des réticences à mélanger météorologie et climatologie: bien que ce soient de proches parentes, elles sont deux branches scientifiques distinctes. La première réfère à l’étude des phénomènes atmosphériques pour prévoir le temps, à brève échéance et dans un endroit donné. La seconde concerne l’étude de tendances sur une longue période de temps (au moins 30 ans). Les projections des climatologues couvrent en outre de larges régions géographiques, voire la planète entière.
Ce qui distingue la météo du climat est donc l’échelle temporelle (court terme versus long terme) et l’échelle spatiale (zones circonscrites d’un côté, étendues de l’autre).
Ajoutons à cela que ce ne sont pas que les scientifiques qui hésitent à établir des connexions entre des événements météorologiques extrêmes et les changements climatiques. Les médias aussi: rares sont les reportages qui font un lien entre ces événements et la tendance lourde du réchauffement global.
Une étude de 2017 concluait par exemple que moins de 10 % des articles des grands médias américains s’aventurent sur ce terrain en ce qui a trait aux feux de forêt ou inondations historiques, tandis que 33% des articles font le lien avec les changements climatiques pour les vagues de chaleur extrême, et 24% pour les sécheresses record.
La science de l’attribution
Or, s’il était impossible il y a encore 15 ans d’attribuer des événements météorologiques aux changements climatiques, c’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Une branche récente de la science du climat s’y consacre exclusivement. Grâce à des modèles climatiques qui se raffinent, des climatologues —comme ceux du World Weather Attribution — calculent dans des délais très courts la probabilité qu’un épisode de météo extrême ait pu se produire sans le dérèglement climatique.
Plus de 400 études d’attribution publiées à ce jour concluent pour la vaste majorité —environ 70 %— que les catastrophes météorologiques de la dernière décennie étaient plus probables ou plus intenses à cause des changements climatiques causés par l’humain. Bon nombre des événements météo les plus dévastateurs que le Canada a connus depuis le début des années 2010 figurent dans la liste des liens avérés par cette approche, qui s’est par ailleurs mérité des éloges ces dernières années. Attribuer un événement extrême au climat est maintenant « routinier » et constitue une « science fiable », tranchait un éditorial de la revue Nature en 2018.
Des chercheurs européens ont par exemple conclu que les vagues de chaleur de 2018 — qui ont entre autres causé 74 décès au Québec— auraient été presque impossibles sans les changements climatiques. Le feu incontrôlé de 2016 à Fort McMurray était jusqu’à six fois plus probable en raison des changements climatiques. La saison d’incendies de forêt qu’a connue la Colombie-Britannique en 2017 était de deux à quatre fois plus probable.
Cela a mené des experts de l’Organisation météorologique mondiale à émettre des recommandations pour aider les scientifiques à mieux expliquer aux médias le rôle de l’évolution du climat dans un événement météo récent. « Au lieu de commencer par les mises en garde habituelles […], un exposé sur l’attribution de conditions extrêmes devrait débuter par un rappel de la façon dont le changement climatique d’origine anthropique influe sur le type de phénomène en cause », font-ils valoir.
Il est difficile de dire si le tout a déjà eu un impact sur la communication. Une étude parue en 2020, qui s’est intéressée à la façon dont un petit échantillon de cinq médias ont attribué au climat les sécheresses des années 2010 en Californie, a conclu qu’il y avait un « intérêt » de la part de leurs journalistes, mais qu’il était difficile d’y voir une tendance.
Cela s’explique par le fait que la science de l’attribution travaille en termes de probabilités — tel événement est quatre fois ou six fois plus probable à cause du réchauffement. En comparaison, la tentation des journalistes et du public reste souvent de réduire le problème à une réponse binaire — l’événement extrême a pour unique cause le réchauffement climatique, ou non — comme l’explique Wolfgang Blau, cofondateur d’un nouveau programme de l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme à l’Université Oxford (Oxford Climate Journalism Network).