Mémoires effondrées est… un produit culturel, certainement. Mais au-delà de ça? Est-ce une bande dessinée? Un roman graphique? Un collage d’extraits textuels « simplement » accompagnés de visuels? Le bédéiste Baya offre ici, dans son recueil publié du côté de Rue de l’Échiquier, une oeuvre hors du commun qui fascine autant qu’elle surprend.
Nous sommes en 2044: Antoine Donelli, ancien comédien bien vu, est mort. Et dans ses affaires, on trouve une série de carnets, comme autant de notes personnelles adressées qui à son grand amour, qui à des proches, qui à des amis ou des personnes importantes dans sa vie.
Explorant autant le passé que l’avenir – enfin, notre avenir –, ces carnets peuvent être de courts traités philosophiques, des réflexions sur l’existence, des souvenirs ramenés à la surface, ou encore de simples lettres. Tout autant de mémoires, donc, de petits blocs d’autant de vies fragmentées, de brèves interactions et de grands principes, des sursauts et des rêves à long terme.
Mais ce qui surprend le plus, ce qui renverse, dans ce Mémoires effondrées, c’est la variété des moyens employés pour illustrer tous ces carnets. Du « simple » dessin au collage, en passant par le montage photographique, voire la création de marionnettes et autres entités artificielles, Baya va au-delà de l’illustration pour créer un véritable univers visuel dans lequel le lecteur finit très rapidement par tomber. Et si l’on pourrait brièvement croire que cette multitude de méthodes pourrait évoquer le capharnaüm, il n’en est rien: il se dégage plutôt de l’ensemble un certain sentiment d’urgence, doublé d’une nostalgique doucereuse.
Une telle exploration, un tel refus des codes – ou, plutôt, une utilisation de ces mêmes codes pour les transgresser, les transformer, les outrepasser –, cela ne se voit pas souvent. Non pas que le fait d’être conventionnel est nécessairement une mauvaise chose, ou que ce cela ne permette pas d’offrir des points de vue et des histoires intéressants, mais Baya démontre ici que tout en étant contraint par la physicalité du médium, par la nécessité d’imprimer des images sur des feuilles de papier, et d’enfermer ces feuilles dans une reliure en carton rigide, il est absolument possible de laisser entièrement libre cours à son imagination et de transporter, par la force des choses, les lecteurs vers d’autres univers bigarrés et audacieux.
Mémoire effondrées est un tour de force sous la forme d’un OLNI, un objet littéraire non identifié. Une collection d’instants rassemblés dans un ouvrage magnifique, qu’il sera fort avisé de conserver longtemps dans sa bibliothèque.