Trois épisodes seulement: trois épisodes pour tout dire, ou presque; pour nous faire pleurer, pour nous faire rêver à des jours meilleurs, pour nous faire sourire, malgré tout. Le podcast Quelqu’une d’immortelle, scénarisé et réalisé par Camille Paré-Poirier, contient une bonne part de la beauté douce-amère du monde, en ces temps d’incertitude. Rencontre.
Ces trois épisodes, ce sont l’histoire de Pauline, une femme âgée de 91 ans et atteinte d’Alzheimer, et de sa petite-fille, Camille, qui accompagne son aïeule dans ses dernières années. Le tout dans un contexte qui changera soudainement du tout au tout, avec l’apparition de la pandémie et des restrictions parfois particulièrement sévères qui furent imposées aux aînés. Mais c’est aussi plus que ça, explique l’autrice et comédienne en entrevue téléphonique.
« Dès le départ, le métier dans lequel je suis fait en sorte que je considère tout dans une optique de projets (à accomplir). Cela a été quelque chose auquel j’ai voulu faire attention, dans ce contexte-ci. Je ne voulais pas tout d’un coup aller voir ma grand-mère parce que je faisais un projet sur elle; je ne voulais pas que tout d’un coup, ça prenne le dessus sur l’idée de base, qui est le fait que nous avons une relation super privilégiée, et que j’avais envie d’entretenir cela jusqu’à la fin », mentionne-t-elle.
« Au départ, je l’enregistrais vraiment plus pour moi et pour la famille; et j’ai réalisé que oui, je lui apportais du réconfort, du soutien, de l’amitié, dans ses dernières années, mais elle aussi. Je crois que c’est cela que j’avais envie de montrer, avec ce projet. »
Toujours selon Mme Paré-Poirier, « une relation, ça se construit toujours à deux, et même si nous sommes des personnes de générations différentes, elle a été là pour moi pendant une période très trouble de ma vie, et ça a été un moyen d’ancrage, pour moi. Une façon de retourner à mes origines, de l’endroit d’où vient ma grand-mère ».
Cette relation est d’ailleurs tout à fait perceptible, dans le cadre du podcast: la relation entre les deux femmes en est une de respect et d’amour, mais aussi d’exploration de souvenirs parfois enfuis. Impossible, entre autres, de ne pas sourire lorsque l’on entend la jeune femme entonner une chanson, chanson qui réactive certainement une partie de la mémoire de la grand-mère; cette dernière se met alors elle aussi à chanter, et l’on peut sans problème imaginer le regard brillant des deux interlocutrices, qui ont ainsi pu établir un pont mémoriel à travers les générations.
Revivre ses souvenirs
Deux ans après le décès de Pauline, emportée dans la foulée de la première vague de la pandémie – mais pas décédée des suites de la COVID-19 –, après des moments où, entend-on dans le podcast, les contacts auront notamment été réduits au minimum « pour éviter la contagion » par des objets, était-ce difficile de revivre ces moments?
« Je l’appréhendais beaucoup », reconnaît Camille Paré-Poirier. « Parce qu’en plus, j’avais beaucoup d’enregistrement depuis 2016. J’en avais déjà réécouté plusieurs. Ce n’était pas aussi émotif de les réécouter après le décès de Pauline. Sauf que les enregistrements de pandémie, ça m’a fait réaliser à quel point cela avait vraiment été long. Cela m’a aussi rappelé à quel point on entendait la dégradation cognitive… On sentait l’absence de contacts physiques, l’absence de liens avec l’extérieur. »
« J’ai trouvé ça très douloureux à écouter, parce que ça s’entend qu’on l’a échappé. »
-Camille Paré-Poirier
La jeune femme fait aussi état de la « grosse frustration » provoquée par la situation, au printemps 2020. « Quand on le vivait, nous vivions la pandémie au jour le jour, et on ne pensait pas que ça durerait aussi longtemps. Mais là, de l’entendre à rebours, c’est interminable. Je trouvais ça dur en étant enfermée chez moi, mais j’avais toutes mes capacités, et je n’étais pas dépendante. Elle, elle était dépendante des soins, dans un contexte où les soins étaient de plus en plus absents, parce que c’était une situation de crise dans les CHSLD. Je crois que j’ai eu envie de parler de ce moment-là parce qu’il y a eu un côté politique en moi qui s’est réveillé. Je ne suis certainement pas la seule à avoir vécu cet éloignement-là, et ce sentiment d’avoir perdu des moments précieux avec un être cher. »
Les épisodes de podcast forcent, peut-être un peu malgré eux, la tenue d’une grande réflexion sur la qualité des soins offerts aux personnes âgées: d’un côté, voir une personne aimée partir petit à petit, dans un grand tourbillon mémoriel, est certainement une situation déchirante que l’on souhaite retarder le plus possible.
De l’autre côté, dans un contexte de disparition quasi totale des contacts avec l’extérieur, avec la diminution des soins, la question de l’acharnement médical refait surface, inévitablement, reconnaît la jeune femme. « À aucun moment, j’aurais pu dire que ça ne valait plus la peine… Mais ces trois mois de pandémie ont été l’enfer, et ça m’a amené beaucoup de questions sur l’aide médicale à mourir », indique l’autrice qui a aussi publié de la poésie aux Éditions de Ta Mère.
Voilà donc un extrait de vie, de deux vies, couché sur papier. Ou plutôt couché sur… bande magnétique? Ou transposé sous forme de uns et de zéros? Quoi qu’il en soit, Quelqu’une d’immortelle est un instant d’éternité préservé pour la postérité. Un moment de beauté à la fois simple et complexe. À écouter pour se redonner espoir en l’humanité.