Les gains pour la forêt boréale dans le nord compenseront-ils les pertes dans le sud? Des dizaines de groupes de recherche sur deux continents s’intéressent à l’avenir du plus large système forestier du monde — un vaste ensemble qui, en plus, abrite des tourbières dont la capacité à emmagasiner le carbone sera déterminante dans les prochaines décennies.
Déjà, un « avantage » au réchauffement climatique avait été noté il y a longtemps: dans certaines régions nordiques du Canada et de la Russie, les arbres profiteront d’un climat plus chaud et gagneront du terrain vers le nord. Mais le prix qu’il faudra payer du côté des tourbières gagnées ou perdues reste encore difficile à mesurer. Par exemple, une recherche récente de l’Université du Minnesota prévoit que d’ici la fin du siècle, il n’y aura tout simplement plus de forêt boréale au Minnesota, ni sur une portion du territoire canadien d’environ 300 km, de la frontière vers le nord.
Or, les tourbières qu’abritent ces forêts emmagasinent en moyenne deux fois plus de carbone que les forêts proprement dites. C’est la raison pour laquelle un groupe de chercheurs s’était intéressé en 2020 au recul des tourbières dans un futur climat nord-américain plus chaud: une des conclusions était qu’il fallait s’attendre à des pertes du carbone emmagasiné allant de 4 à 18 fois la quantité de carbone accumulée.
Mais puisque la forêt boréale progresse vers le nord, cela ne signifie-t-il pas, à long terme, de nouvelles tourbières, qui compenseraient pour les pertes subies plus au sud? Le problème est que le réchauffement n’est pas linéaire: il se produit actuellement deux à trois fois plus vite dans l’Arctique que dans le reste du monde, avec un potentiel destructeur que les chercheurs ne peuvent pas estimer — et pour l’instant, les incendies des dernières années en sont la marque la plus visible.
Un reportage publié ce mois-ci par le média environnemental e360, présente une équipe de ces chercheurs basée en Alaska, qui étudie depuis 1987 les mécanismes qui ont rendu la forêt boréale aussi résistante pendant des milliers d’années et qui, pourtant, la rendent vulnérable à un réchauffement trop rapide. Un de ses constats: les incendies plus fréquents favorisent la régénération d’arbres comme le tremble ou le bouleau, au détriment des conifères. Parallèlement, les feux brûlent la couche organique du sol, ce qui expose les minéraux en dessous, favorisant la croissance des arbres, mais réduisant l’isolation dont jouissait le pergélisol — le sol gelé en permanence. En dégelant, ce sol évacue davantage de carbone et de méthane dans l’air.
Si, comme le prévoient les modèles, les incendies dans l’Arctique sont vraiment en train de gagner en nombre et en territoires couverts, on devrait assez vite voir de quel côté la balance est en train de pencher.