Craignant la propagation du variant Omicron, plusieurs gouvernements ont rapidement fermé leurs frontières aux visiteurs de certains pays africains. Ces restrictions de voyage sont-elles efficaces? Le Détecteur de rumeurs nuance.
La même question s’était posée au début de la pandémie quand, à la fin-janvier 2020, de nombreux pays avaient interrompu les vols en provenance de Chine. Cela permet aujourd’hui d’avoir un certain recul sur l’effet qu’a eu cette politique sur la circulation du virus.
Des chercheurs ont d’abord tenté de mesurer cet effet à l’intérieur de la Chine. Selon une étude publiée en mai 2020, la mise en quarantaine de la métropole de Wuhan aurait été associée à une arrivée retardée de la COVID-19 de seulement 2,91 jours dans d’autres villes chinoises. C’est que cette mise en quarantaine n’a été décrétée que le 23 janvier, soit environ un mois après l’éclosion de la maladie. Or, ce délai couvre la période du Nouvel An lunaire, lorsque des millions de personnes ont voyagé à travers la Chine pour des visites familiales. Les restrictions de voyage étaient donc trop tardives pour empêcher la propagation du virus.
Les restrictions strictes de déplacements et de voyages instaurées à Wuhan auraient par contre réduit le nombre de cas exportés à l’international de 70 % à 80 %, en plus de conduire à des réductions importantes de la transmission en Chine continentale, selon une méta-analyse de 29 études publiée en mars 2021 par des chercheurs de Chine, des États-Unis et du Canada. Mais il faut noter que le gouvernement chinois avait imposé, en plus des interdictions de déplacement, des mesures sanitaires beaucoup plus sévères que ce qu’on a vu dans la plupart des pays occidentaux.
Enfin, il faut noter qu’au moment où de nombreux gouvernements avaient interrompu les vols en provenance de Chine, le virus avait déjà été signalé dans d’autres pays asiatiques et, comme on allait l’apprendre plus tard, il était déjà en Europe et aux États-Unis. L’interruption des liaisons aériennes pouvait donc tout au plus retarder la propagation du virus, mais celui-ci avait encore de multiples opportunités de voyager.
Par ailleurs, la question s’était posée avant la COVID-19. Selon une étude réalisée après l’épidémie de grippe H1N1, en 2009, lorsque le nombre de cas augmente, le bénéfice des interdictions aériennes disparaît. Les restrictions aux aéroports auraient, au final, un effet limité pour contenir l’infection, parce qu’il faut aussi tenir compte de la période d’incubation, des voyageurs terrestres, et de la probabilité d’une présence préalable du virus. Dans le cas du H1N1, l’étude de 2009 montre que la réduction de 40 % du trafic aérien mexicain avait retardé de seulement trois jours l’apparition de l’infection dans d’autres pays. Il faudrait théoriquement interdire tous les voyages pour que cette mesure soit efficace, un objectif irréaliste dans une société mondialisée, indiquent ses auteurs.
Offrant une perspective plus large, une revue de 62 études réalisée par Cochrane, une référence internationale en matière de données probantes, rapporte que les restrictions de voyage peuvent avoir leur avantage: dans les circonstances idéales, elles pourraient retarder l’épidémie de 85 jours. Dans d’autres scénarios, elles la retarderaient… d’une journée.
Voyages à l’intérieur du pays
L’un des problèmes des interdictions de voyager à l’étranger est que les citoyens peuvent toujours voyager à l’intérieur des frontières de leur pays. Avec le risque d’infection que cela entraîne si le virus —ou le variant— y circule déjà.
À l’inverse, la mise en place de politiques limitant les déplacements à l’intérieur des frontières contribue à la réduction de la propagation du virus. Par exemple, à Terre-Neuve-et-Labrador, les non-résidents devaient présenter une exemption pour entrer dans la province. Résultat : une réduction de 92 % du nombre moyen de cas cliniques de COVID-19.
En combinaison avec d’autres mesures
En novembre 2020, une étude avait comparé plusieurs stratégies d’intervention employées pendant l’actuelle pandémie, notamment les restrictions sur les voyages aériens, l’isolement des malades, la quarantaine à domicile, la distanciation sociale et les fermetures d’écoles. Ses auteurs concluaient que la meilleure approche est une combinaison de ces mesures pour une durée d’environ 91 jours (3 mois).
Une revue publiée en janvier 2021 dans le Travel Medicine and Infectious Disease, qui s’est également intéressée aux voyageurs en provenance d’un pays où l’épidémie est déjà déclarée, souligne par ailleurs que la mise en quarantaine de ces voyageurs peut retarder l’introduction du virus, ou retarder le pic de transmission, mais que l’effet est faible et les preuves disponibles, limitées. Les auteurs précisent qu’à l’avenir, les tests de dépistage à l’arrivée pourraient être le meilleur moyen de réduire le nombre de personnes qui doivent être mises en quarantaine dès leur arrivée. Ils ajoutent que l’hygiène des mains, l’éloignement physique et le port de couvre-visages à l’aéroport, sont des éléments clés pour prévenir la transmission du SRAS-CoV-2.
La revue Cochrane de mars 2021 précise qu’une quarantaine d’au moins 10 jours peut empêcher les voyageurs de propager la COVID-19, mais qu’elle est plus efficace si elle est associée à une autre mesure, comme les tests de dépistage PCR aux frontières —et ce, surtout si les gens respectent les règles.
Verdict
Les interdictions de voyager peuvent ralentir de quelques jours la propagation du SRAS-CoV-2 d’un pays à un autre, mais elles sont insuffisantes si elles ne s’appliquent qu’aux transports aériens, et si ces interdictions ne sont accompagnées d’aucune autre mesure-clef pour diminuer le risque d’infection.