Capter et stocker du carbone sous terre pour s’extirper de la crise climatique? Rien n’est moins sûr, constate le Détecteur de rumeurs.
La technologie du captage et de la séquestration du carbone (CSC) suscite plus d’intérêt que jamais. Et pour cause : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans un rapport publié en 2019, en fait une des solutions à envisager pour l’élimination de 100 à 1000 milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère au cours du 21e siècle —on parle dans un tel cas d’émissions négatives.
L’Organisation des Nations unies abonde dans le même sens. Dans un document diffusé début 2021, elle appelle à un déploiement rapide et à grande échelle du CSC en Europe pour atteindre les objectifs de neutralité carbone conformes aux promesses de ces pays dans le cadre de l’Accord de Paris. Le secteur de l’énergie de même que l’industrie, dont les émissions sont difficiles à réduire à moyen terme, en profiteraient tout particulièrement.
L’Institut canadien pour des choix climatiques inclut le CSC dans ses 60 scénarios pour que le Canada atteigne la carboneutralité. À l’instar des scénarios de transition proposés par le GIEC, mais aussi par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le CSC joue donc un rôle plus ou moins important, mais toujours significatif, dans la sortie de la crise climatique.
En quoi ça consiste
Le CSC consiste d’abord à capter de 70 à 90 % du dioxyde de carbone (CO2) dès qu’il est produit – certaines émissions sont à peu près impossibles à éviter. Le CO2 peut être capté avant, pendant ou après la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz naturel. Le CO2 extrait est ensuite converti en un mélange d’hydrogène et de dioxyde de carbone, qui sera comprimé afin d’en réduire le volume.
Le CO2, comprimé sous forme liquide, est ensuite transporté par pipeline, plus rarement par bateau ou par camion. La dernière étape consiste à l’enfouir de manière permanente dans des formations géologiques souterraines, comme des réservoirs de pétrole ou de gaz épuisés. Les aquifères salins profonds, l’un des lieux de stockage envisagés, pourraient à eux seuls absorber 1000 à 20 000 milliards de tonnes de CO2, à l’échelle de la planète.
Cette énorme capacité de stockage ne sera pas de trop. Une étude récente du Global Carbon Project, un groupe international de climatologues, rapporte que les émissions mondiales de CO2 en 2021 atteindront 36,4 milliards de tonnes. Bien qu’environ la moitié de ces émissions soit captée par les écosystèmes naturels —c’est-à-dire la forêt et les océans— le reste est relâché dans l’atmosphère, où il contribue au réchauffement planétaire.
Les bémols
Contamination de nappes phréatiques, microséismes lors de l’injection, fuites de CO2 dans l’atmosphère : le CSC génère bien des peurs, fondées ou non. C’est néanmoins au chapitre de l’efficacité que le CSC doit encore faire ses preuves. L’AIE estime qu’environ 40 millions de tonnes de CO2 sont captées et stockées chaque année, aux quatre coins du globe, par les quelque 76 projets en cours ou en phase d’expérimentation: ces projets sont principalement sous l’égide des industries gazières et pétrolières. Cela représente donc une goutte dans l’océan des émissions mondiales annuelles.
Pour atteindre les cibles de réduction de l’Accord de Paris, il faudrait la mise en service de plusieurs dizaines de lieux de stockage chaque année jusqu’en 2050. Pour les dépasser, c’est-à-dire retirer du CO2 de l’atmosphère, on parle davantage d’une centaine de nouvelles installations de CSC par année. Au Canada, seuls quatre projets de CSC sont en service à l’heure actuelle, dans l’ouest du pays.
Le projet de captation albertain Quest, piloté par la multinationale Shell, est l’un des plus vieux du genre au pays. S’il permet d’absorber 1 million de tonnes de CO2 par année, c’est au coût d’investissements de 745 millions de dollars du gouvernement de l’Alberta et de 120 millions du gouvernement du Canada, soit les deux tiers de sa valeur totale de 1,3 milliard de dollars.
« Ce qui m’inquiète quand on regarde les projets dans l’Ouest canadien, ce sont leurs coûts pharaoniques. Si on prenait cet argent-là et qu’on l’investissait en efficacité énergétique ou dans les énergies renouvelables, on aurait des réductions de gaz à effet de serre beaucoup plus importantes par dollar investi », affirmait en 2016 au quotidien Le Devoir le futur ministre de l’Environnement du Canada Steven Guilbeault, alors directeur principal d’Équiterre.