À la fois thriller, série de science-fiction, roman policier, film noir, saga d’action, hommage au jazz, ou encore étude sociologique sur l’expansion de l’humanité à travers le système solaire, Cowboy BeBop – l’original, pas l’adaptation avec de véritables acteurs dont la première saison a récemment été mise en ligne sur Netflix – a pris quelques légères rides, mais demeure un monstre sacré de l’animation japonaise.
Produite par le studio Sunrise et d’abord diffusée entre 1998 et 1999, puis doublée en anglais et diffusée aux États-Unis à partir du tournant du siècle, Cowboy BeBop raconte l’histoire de l’humanité en 2071, dans un système solaire dont la grande majorité des mondes telluriques ont été colonisés, avant d’être reliés entre eux par un gigantesque système de « portes » permettant de se déplacer à très grande vitesse. Si la Terre a justement été largement détruite en raison de l’explosion du premier de ces portails, installés sur la Lune, qui a ensuite fait pleuvoir les débris du satellite naturel sur notre monde d’origine, l’humanité se porte relativement bien sur Mars, sur les lunes des géantes gazeuses, etc.
Relativement bien, en effet, mais confrontées à une forte hausse de la criminalité, les autorités n’ont pas eu d’autre choix que d’autoriser la mise en place d’un système où les chasseurs de primes peuvent non seulement oeuvrer légalement, avec récompenses financières à la clé, mais où leur existence est quasiment glorifiée, avec l’appellation cowboy, et même une émission d’information, à la télévision, qui oscille entre la savoureuse parodie et la source de bien des indices pour nos héros.
C’est dans ce contexte que travaillent Jet et Spike. Le premier est un ancien policier qui a pris sa « retraite », avant d’utiliser son vaisseau spatial, le BeBop, comme base d’opérations. Le second est un ex-tueur à gages du très puissant Syndicat des dragons rouges, une organisation criminelle aussi influente que mortellement dangereuse. Ensemble, ils tentent d’attraper des criminels. Mais comme dans toute entreprise capitaliste, la concurrence est souvent rude, et la série ouvre justement sur une scène où Jet cuisine des légumes à la viande… sans viande. Il n’est d’ailleurs pas rare que les deux amis s’engueulent, justement à propos de la bouffe, ou de maladresse de l’un ou de l’autre. La série est ainsi émaillée de scène humoristiques, ou du moins au ton plus léger.
Après tout, un peu d’humour ne fait jamais de mal, surtout quand le propos central est aussi sombre. Car au-delà de la course pour tenter de coincer des bandits, Cowboy BeBop est une série sur le deuil et le regret: Jet regrette certains gestes accomplis durant son passage dans la police, ainsi que le bras qu’il a perdu dans une embuscade; Spike regrette sa vie de criminel, et la disparition de Julie, son seul amour, victime des machinations de l’immonde Vicious.
Quant aux deux autres personnages qui s’ajouteront à l’équipe, Faye et Edward (ou Ed), la première a été cryogénisée pendant plusieurs décennies, et a perdu l’ensemble de son passé, en plus de devoir rembourser une somme astronomique, ce qui la prive aussi de son avenir; la seconde (ou le second, cela n’est jamais vraiment précisé), est un enfant en apparence orphelin qui peut à la fois être soudainement brillant, tout comme il peut autrement être d’une très grande naïveté.
Ce quatuor (et n’oublions pas Ein, le chien) évolue dans un monde post-moderne, mais aussi tout à fait contemporain. L’humanité a colonisé le système solaire, oui, mais les villes ressemblent à des métropoles des années 1990, les problèmes sociaux et économiques semblent être les mêmes, et bien des gens sont souvent coincés dans une certaine pauvreté de laquelle il semble impossible de s’extraire.
Deuil et colère
La critique sociale est ainsi assez évidente, mais elle fait certainement mouche: au-dessus des peuples délaissés et désoeuvrés, les puissants s’affrontent, bien souvent avec des résultats funestes. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’autant la police que les criminels emploient des tactiques horribles, sans doute uniquement motivées par un désir d’accumuler le plus de pouvoir possible, quitte à laisser une traînée de cadavres derrière soi.
Quel est le sens de l’existence, alors, pour nos héros, qui sont à la fois matériellement rattachés à ce monde un peu malade, mais en sont aussi suffisamment détachés pour obtenir une nouvelle perspective? Les personnages tenteront de le découvrir en 26 épisodes d’une vingtaine de minutes, comme une bonne vieille série télé à l’ancienne.
Pourtant, si le tout est relativement court, les questions qui demeurent sans réponse n’en nécessitent ultimement pas. Nul besoin, ainsi, de tout expliquer le passé des gens, ou encore d’offrir une véritable conclusion à la chose. L’équipage du BeBop saura-t-il tirer son épingle du jeu? Veut-on vraiment le savoir, en fait?
Si l’on peut légèrement froncer le sourcil en voyant comment certains personnages ont été caractérisés, comme Faye en femme fatale habillement si courtement qu’elle passerait son temps à geler, par exemple, ou encore un ou deux gags légèrement éculés à propos des homosexuels, Cowboy BeBop a extrêmement bien vieilli. Oui, l’animation en trois dimensions, pour des stations spatiales, notamment, a fait plus que son temps, mais tout ce qui est animation à l’ancienne est d’une qualité plus qu’extraordinaire. Cela se combine à d’excellents dialogues, et à une fantastique trame sonore. Si fantastique, en fait, qu’il est plus que recommander de s’injecter une bonne dose de jazz déjanté en écoutant directement l’album qui recueille l’ensemble des compositions de la série.
Presque 30 (!) ans après sa sortie, Cowboy BeBop est toujours aussi pertinente. Plus, sans doute, que l’adaptation récente de Netflix, qui semble vouloir être autant un hommage qu’une copie, provoquant du même coup l’incrédulité, voire la colère des passionnés.
Heureusement, la série originale est elle aussi sur Netflix, en format 4:3 et en japonais avec possibilité de sous-titres en anglais. Que demander de plus?