Il ne fait pas bon être un pays africain ce mois-ci, si un cas du variant Omicron y a été détecté… ou même s’il n’y a pas été détecté. Plusieurs pays occidentaux ont prestement fermé leurs portes à des pays de ce continent —tout en maintenant les autorisations de voyager à des pays d’Europe ou d’Asie où plusieurs cas ont pourtant été observés.
Et c’est sans compter le fait que l’Afrique du Sud semble payer le prix… d’un dépistage rapide et efficace. Si le variant Omicron y a été détecté, c’est en effet parce que ce pays dispose d’une infrastructure scientifique réputée (le Network for Genomic Surveillance in South Africa). Or, ont noté plusieurs chercheurs cette semaine , en coupant les liaisons aériennes, on court le risque d’amener d’autres centres de recherche ou d’autres gouvernements à y penser deux fois avant de signaler le prochain variant.
La porte fermée s’est en fait étendue aux citoyens de toute la région immédiate, sans explication claire: dès la fin de semaine du 27 novembre, plusieurs pays européens, suivis par le Canada, interdisaient l’entrée sur leur sol aux citoyens de l’Afrique du Sud et de six pays limitrophes, dont le Mozambique et la Namibie. Quatre des sept pays n’avaient toujours, en date du 2 décembre, aucun cas d’Omicron officiellement recensé. Le 1er décembre, la liste canadienne était élargie au Nigéria, où un seul cas avait été observé à ce moment, et à l’Égypte, où aucun cas n’avait été observé.
En fait, en date du 2 décembre, le deuxième pays (après l’Afrique du Sud) avec le plus grand nombre de cas du variant Omicron était le Royaume-Uni, avec 22 cas. Plusieurs pays européens suivaient de près, dont les Pays-Bas (16) et le Portugal (13).
Contre-productif
Il est de toutes façons très peu probable que l’interruption des liaisons aériennes empêche le variant de se répandre si, comme les experts le soupçonnent, il a d’ores et déjà pris pied un peu partout dans le monde. Bien plus, c’est une action qui peut être contre-productive : elle peut ralentir l’envoi d’équipements dont certains pays auront un urgent besoin, et elle va certainement ralentir la recherche sur ce variant. « L’interdit de voyager va paradoxalement affecter la vitesse à laquelle les scientifiques vont être capables d’enquêter », se plaint dans la revue Nature le vaccinologue sud-africain Shabir Madhi. Très concrètement, ajoute son collègue bioinformaticien Tulio de Oliveira, l’interruption des livraisons pourrait menacer la même surveillance génomique qui a permis de repérer ce variant: « la semaine prochaine, si rien ne change, nous allons tomber en panne de réactifs pour séquençages ».
L’Organisation mondiale de la santé a réitéré cette semaine son opposition à ces interruptions des liaisons aériennes, rappelant, comme elle l’avait fait au début de la pandémie, que la meilleure façon de ralentir la propagation du virus était de dépister systématiquement tous les voyageurs entrants et sortants, y compris les citoyens du pays, et de mettre en quarantaine tous les cas suspects.
Les événements du printemps 2020 ont d’ailleurs démontré le peu d’utilité d’interdire l’entrée au pays des citoyens de tel ou tel pays, surtout si cette mesure n’est accompagnée d’aucune autre: ainsi, les liaisons aériennes avec la Chine avaient été interrompues dès la fin-janvier dans plusieurs pays, dont les États-Unis, mais les citoyens américains en provenance de Chine avaient alors afflué par dizaines de milliers, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué dans plusieurs des aéroports. Et il avait fallu des mois avant que des politiques de dépistage efficaces ne se mettent en place.
« C’est trop tard », renchérit dans Nature l’experte en mondialisation de la santé publique Kelley Lee, de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. « Le variant circule mondialement. »