Réunissant pas moins de 17 artistes parmi lesquels Ralph Meyer, François Boucq ou Christian Rossi et racontant le côté sombre de la conquête de l’Ouest entre 1763 et 1938, la bande dessinée Go West Young Man constitue un western aussi grandiose que lucide, et afin d’en apprendre davantage sur cette ambitieuse bande dessinée, Pieuvre a eu la chance d’en discuter avec le scénariste et initiateur du projet, Tiburce Oger.
Go West Young Man n’est pas votre premier western, ou votre premier rodéo comme diraient les cowboys. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié votre album Ghost Kid paru l’an dernier. D’où vous vient votre passion pour le genre?
Tiburce Oger : Nous les cinquantenaires, dans notre enfance, dans les années 1960-1970, le western était vraiment populaire en France. À la télé, il y en avait souvent, et la bande dessinée a ensuite relayé ça. On avait Blueberry, on avait des grandes séries, Jonathan Cartland, Mac Coy, Comanche d’Hermann, et puis, il y avait aussi une tradition bien sûr. J’ai découvert après, assez jeune, Fred Harman et ce qu’il faisait aux États-Unis, et puis voilà, c’est cette passion de l’Ouest américain qui nous a fait franchir, au dix-huitième et dix-neuvième siècle, l’océan pour pouvoir aller conquérir, du Québec jusqu’au Mexique, les terres nouvelles (rires).
Qu’est-ce qui fait que le western continue d’être pertinent aujourd’hui?
Tiburce Oger : Je pense que c’est l’imaginaire, le rêve de liberté, des grands espaces… Cette confrontation de l’individu face à l’adversité de la nature, du monde sauvage. Et dans nos pays, on va dire très civilisés, très urbanisés, de nos jours, je pense que ça fait toujours rêver. Ça fait un appel d’air frais.
En même temps, en lisant Go West Young Man, on se rend compte qu’il y a beaucoup d’éléments de la conquête de l’Ouest qui sont toujours actuels, comme le racisme par exemple.
Tiburce Oger : Oui. Je voulais vraiment montrer le ferment de cette conquête de l’Ouest et ses défauts. On peut parler aussi de, enfin, pas de génocide, parce que ce n’était pas la volonté forcément des colons américains de se débarrasser des peuples amérindiens, mais disons qu’ils se sont retrouvés confrontés. En arrivant à New York, on leur disait « Allez-y, ce sont des terres libres à conquérir ». Donc, les pauvres Européens affamés fonçaient avec un chariot, un fusil et deux vaches, et se retrouvaient face à des peuplades amérindiennes qui étaient là depuis des milliers d’années, qui n’avaient pas franchement envie de laisser leur place et donc, il y a eu ce gros problème de choc des cultures et des civilisations, qui s’est mal terminé pour beaucoup de colons, mais surtout pour la plupart des Amérindiens. Ensuite, le gouvernement américain a vraiment fait une politique de déplacement de ces peuples. Ça oui, j’en parle. Ils ont aussi effectivement, surtout les États du Sud, beaucoup employé l’esclavage. Donc, moi, ce que je voulais montrer, c’est la conquête de l’Ouest, mais pas le côté noble de la chose, plutôt sa face sombre.
Et pourquoi avez-vous choisi de faire un album collectif?
Tiburce Oger : Je suis scénariste et dessinateur depuis une trentaine d’années, et j’ai toujours admiré de nombreux collègues, notamment pour les westerns, parce que c’est une passion d’enfance, et je me suis dit que je n’aurais peut-être jamais l’opportunité de pouvoir travailler avec tous ces auteurs de talent, sauf, éventuellement, si je leur proposais de dessiner une petite histoire courte. Je leur ai proposé le concept, j’ai envoyé à chacun des histoires, et puis l’idée leur a plu, de se dire « Après tout, c’est vrai, entre trois et huit pages, ça ne va pas me prendre trop de temps, entre deux albums, je vais pouvoir le faire ». Donc j’ai pu contacter comme ça une vingtaine d’auteurs. Il y en a une quinzaine qui ont répondu, et favorablement. Après, je me suis lancé un petit défi, c’est-à-dire de leur demander, pour la plupart, s’ils avaient un thème qu’ils auraient aimé dessiner et qu’ils n’avaient jamais pu faire. Ralph Meyer par exemple m’a dit que depuis son enfance, il était fasciné par le Poney Express, donc j’ai inclus le thème du Poney Express dans l’histoire que je prévoyais pour lui. J’en ai d’autres. Par exemple Hugues Labiano voulait parler de « Wild Bill » Hickock dans son histoire. Christian Rossi voulait parler principalement de Geronimo et des guerres apaches. Donc, j’ai écrit ça pour lui.
Donc, vous avez écrit les histoires spécifiquement pour les illustrateurs?
Tiburce Oger : Oui. À part pour certains ou après, il y avait un peu des histoires « volet », donc, il y en a qui ont été punis (rires) et ils ont eu des histoires qu’ils n’avaient pas forcément choisies, mais bon, ils ont accepté ça de bon cœur, et ça s’est très bien passé.
Est-ce que ça a été difficile, surtout en temps de pandémie, de réunir tous ces artistes autour d’un même projet? Est-ce qu’il y a des illustrateurs que vous auriez souhaité avoir qui n’étaient pas disponibles?
Tiburce Oger : Et bien alors, l’avantage justement de la pandémie, c’est que j’ai eu cette idée de projet au tout départ, pour nous en France, du premier confinement, et je savais qu’en contactant par Internet la plupart des auteurs, ils ne pouvaient pas faire semblant d’être absent de chez eux (rires). Ils étaient forcément tous confinés comme moi (rires). Ils se sont peut-être sentis obligés de répondre. Ça, c’était un avantage. Et puis après, bon, ils se sont dits « Après tout, quittes à être prisonniers, on va pouvoir faire des pages pour ce fou qui veut faire cet album ». Donc non, ça n’a pas été un frein du tout. Au contraire. C’est vraiment Internet qui m’a permis de contacter de nombreux auteurs comme ça. Je pense qu’il y a vingt ans, cet album, j’aurais mis beaucoup plus de temps pour pouvoir le mettre sur pied.
D’où vous est venue l’idée d’utiliser une montre à gousset en or comme fil conducteur pour relier toutes ces histoires? L’album aurait pu être une mosaïque un peu éparpillée sans ce fil narratif traversant tous ces récits…
Tiburce Oger : Effectivement, je savais que pour que ça ne soit pas seulement un collectif et qu’on ait quelque chose qui ne soit pas disparate, il fallait qu’on suive l’évolution, ou en tout cas le parcours, non pas d’un humain, parce qu’en cent cinquante ans, il aurait été très très vieux, mais d’un objet. Je pensais au départ prendre un calumet, ou un tomahawk, un objet amérindien, mais il me fallait un objet qui puisse quand même continuer à être utilisé aussi bien en 1760 qu’en 1915. Et du coup, quoi de mieux qu’une montre. C’est-à-dire que, la montre en or d’un officier britannique du 18e siècle pouvait toujours avoir de la valeur, et être aussi utilisée presque deux siècles plus tard.
En plus, c’est une image forte, puisque vous couvrez cent cinquante ans d’histoire. C’est un peu ça aussi la montre, le symbole du passage du temps…
Tiburce Oger : Exactement, c’est le passage du temps, bravo pour l’avoir vu (rires). J’aime toujours aussi l’idée de la montre… Je l’avais utilisée aussi pour un petit passage particulier dans mon précédent western, Ghost Kid, avec effectivement ce vieux cowboy qui apprend à lire l’heure à un jeune Indien comme ça qui le suit partout. Il y avait ce clin d’œil.
Vous êtes à la fois scénariste et dessinateur. Pourquoi n’avez-vous pas illustré une des histoires de Go West Young Man?
Tiburce Oger : Je voulais vraiment me mettre en retrait. Là, j’avais juste envie d’écrire mon admiration à tous ces dessinateurs, jeunes ou moins jeunes, en disant voilà, je suis aussi dessinateur, mais j’aime tellement votre travail que j’aimerais juste écrire pour vous, et donc, je me suis mis en retrait au niveau du dessin. On a quand même une version à la librairie Bulle de la ville du Mans en France, une version à tirage très limité, je crois que c’est 700 exemplaires. Le libraire m’a demandé de faire une petite histoire courte à insérer dans un cahier supplémentaire parce que voilà, il était un peu frustré que je n’aie pas dessiné dans cet album. Mais au départ, je voulais vraiment mettre en avant tous ces auteurs que j’admire.
Est-ce que ça représente un défi particulier d’écrire une histoire complète en seulement trois à huit pages?
Tiburce Oger : En fait, ça, c’est assez passionnant, parce que ça donne justement un petit côté synopsis d’une histoire. J’ai lu des critiques disant que chaque histoire pouvait faire un album complet. Mais là, c’était assez passionnant de faire une petite nouvelle, sans tomber dans le côté gag, parce que parfois, les histoires sont assez dramatiques, mais justement, de montrer qu’on pouvait, non pas faire du livre à rallonge, parce que, en ce moment, on est un petit peu dans les romans-fleuves chez nous, c’est-à-dire des albums de bandes dessinées avec parfois une case ou deux par page, mais sur 200 ou 300 pages. Le lecteur est persuadé qu’il va avoir plus à lire, parce qu’il aura ses 300 pages… Moi effectivement, les auteurs en ont bavé, parce qu’ils avaient parfois dix ou onze cases par page. Ça fait forcément un gros condensé, mais je pense que le lecteur à la fin se dit quand même qu’il a lu quelque chose. Et puis, ça, c’était vraiment l’exercice passionnant, réussir à raconter, justement en condensé. Avoir une mise en situation des personnages, qu’on s’attache très rapidement à certains d’entre eux, et puis qu’on ait un dénouement.
Et sur quel projet travaillez-vous présentement? Qu’est-ce que vous nous réservez pour l’avenir?
Tiburce Oger : Je commence à prendre des notes pour un autre album avec le même concept. La plupart des auteurs du Go West à qui j’en ai parlé sont vraiment partants pour un deuxième tome. Alors, ça ne sera pas une suite, ça ne sera pas vraiment un tome deux, mais j’aimerais faire le pendant à cette conquête de l’Ouest… C’est-à-dire que là, sur Go West, on a le point de vue des colons, hommes et femmes, qui partent vers l’Ouest, et j’aimerais montrer maintenant le regard amérindien, le point de vue amérindien sur cette conquête de leur pays, de leur territoire.
Go West Young Man, de Tiburce Oger, Enrico Marini, Benjamin Blasco-Martinez, Christian Rossi, Michel Rouge, François Boucq, Ronan Toulhoat, Félix Meynet, Patrick Prugne, TaDuc, Eric Herenguel, Steve Cuzor, Ralph Meyer, Dominique Bertail, Hugues Labiano, Paul Gastine et Michel Blanc-Dumont. Publié aux éditions Grand Angle, 112 pages.