Ils écrivent peu de messages enflammés sur Facebook, ils se posent souvent des questions, ils ont peur parfois, pour eux, ou pour leurs enfants.
La personne qui hésite à se faire vacciner, ou à faire vacciner ses enfants, n’est souvent pas une opposante à la vaccination. Elle se méfie d’un vaccin, doute de son efficacité ou n’a simplement pas reçu toutes les informations dans sa langue. Ce phénomène, qu’il soit réticence ou refus de se faire vacciner, s’établit dans un continuum entre la pleine acceptation et l’opposition ferme, jalonné de multiples incertitudes.
Parfois la réponse est ailleurs, dans une plus grande méfiance des politiciens et de leurs décisions, du système de santé pas toujours accueillant, d’une économie qui priorise ceux qui ont revenus, chalet et REER. Parfois, c’est juste un papa qui ne voit pas le bénéfice d’une vaccination supplémentaire pour son enfant dont il se dit qu’il ne sera sûrement pas très malade avec la COVID-19.
« L’hésitation est naturelle, cela accompagne la vaccination depuis ses débuts. C’est un phénomène complexe et variable. Ce que l’on voit beaucoup aujourd’hui, c’est une radicalisation de certains groupes non vaccinés et une polarisation du débat. Ça manque de dialogue », relève l’historienne des sciences Laurence Monnais.
Les facteurs qui expliquent l’hésitation
Les chercheurs étudient l’hésitation vaccinale depuis une vingtaine d’années, depuis les résurgences de la rougeole dans certaines communautés. La perception des vaccins, les expériences individuelles et le contexte de la campagne de vaccination actuelle, complexifient le phénomène. Ainsi, la chercheuse en santé pédiatrique de l’Université de Dalhousie, Noni E. McDonnald, a développé le modèle des 3C :
- pour le manque de Confiance dans la sécurité et l’efficacité des vaccins (ainsi que dans le système et les motivations politiques);
- pour la Complaisance, en raison d’une faible perception du risque;
- et pour le manque de Convenance pour accéder à la vaccination (coûts, déplacements difficiles, etc.).
« De nombreuses réalités sociales comme le manque d’information ou les barrières linguistiques, peuvent freiner la décision d’aller se faire vacciner », convient la sociologue au Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, rattaché au CIUSSS du Nord de l’Île de Montréal, Isabelle Ruelland.
L’hésitation vaccinale dans l’ombre de la pandémie
Bien avant la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé inscrivait l’hésitation à la vaccination parmi les 10 principales menaces à la santé mondiale. La crise sanitaire actuelle amplifie le problème : « épidémie » de fausses informations, manque de connaissances des experts sur une nouvelle maladie, nouveauté des vaccins…
L’hésitation vaccinale varie aussi dans le temps. Avant que les vaccins ne soient disponibles l’an dernier, les Canadiens étaient plus nombreux à hésiter, près de 25 % entre septembre et décembre 2020, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de Statistiques Canada.
Or, dès que les vaccins sont devenus disponibles, cette proportion a fondu. « Aujourd’hui, c’est plutôt de 5 à 15 % d’hésitation – et une large part s’est muée en refus », explique l’expert en communication de l’Université de Sherbrooke, Olivier Champagne-Poirier.
« En matière d’hésitation, il y a légèrement plus de femmes, de jeunes et certains groupes de minorités visibles, mais ce qu’on note aujourd’hui c’est plus large que ça, et surtout relié à la faible confiance envers les vaccins et à une grande méfiance envers le gouvernement. La pandémie rend le portrait très hétérogène », note l’expert.
L’hésitation vaccinale qui existait avant la pandémie concernait surtout les parents – près de 20 % retardaient ou ne suivaient pas le calendrier vaccinal de leurs enfants – et la majorité se disaient anxieux face à la vaccination (70 % des participants à l’étude). Plus du tiers (37 %) pensaient que le vaccin pouvait donner la maladie qu’il devait prévenir. Or, cette hésitation « classique » recevait un accueil plutôt bienveillant, contrairement à aujourd’hui, où ceux qui hésitent sont trop souvent présentés comme des « idiots ».
En même temps, la COVID-19 a élargi le spectre de ceux qui hésitent ou ont hésité. On peut relier ça « aux barrières systémiques du système de santé, à des mauvaises expériences liées au racisme et à un manque d’accès à une information sanitaire compréhensible et dans la langue du locuteur », ajoute Eve Dubé, du Département d’anthropologie de l’Université Laval, également à l’Institut national de santé publique et au Centre de recherche du CHU de Québec. De nombreux organismes communautaires et cliniques mobiles de santé ont travaillé très fort, ces derniers mois, pour rejoindre ces personnes plus vulnérables et marginales.
En date du 19 novembre, près de 88,5 % des Québécois de plus de 12 ans étaient adéquatement vaccinés, avec 2 doses; 91 % des 12 ans et plus avaient reçu au moins une dose. Mais même une fois vaccinées, de nombreuses personnes restent avec des questions.