Traducteur de plusieurs pièces de Shakespeare, Normand Chaurette connait bien l’univers du pouvoir et de la royauté décrit par le célèbre dramaturge anglais. En puisant dans certaines de ses œuvres, dans les travaux des historiens et dans son imagination, il a créé pour Les reines, présenté au Théâtre du Nouveau Monde, six personnages féminins en marge de la tragédie historique de Richard III, et imaginé les luttes auxquelles ces femmes auraient pu se livrer dans les coulisses du pouvoir.
Dans de très beaux décors comme sait les proposer le TNM: des escaliers qui vont dans tous les sens dans une sorte de château médiéval au-dessous duquel on devine un abîme qui ressemble à l’enfer, et à l’abri de la neige abondante qui tombe sur la cité de Londres, six femmes assoiffées de pouvoir règlent leurs comptes à coup de mots.
Sont-elles moins cruelles que les hommes, et en particulier que Richard, le duc de Glocester qui, pour accéder au pouvoir tue son frère, ses neveux et tant d’autres qui pourraient faire obstacle à sa royauté? Sans doute pas, et leurs armes, même si ce ne sont que des mots, sont capables de blesser voire de tuer celles et ceux qui les reçoivent.
La pièce se situe en ce 14 janvier 1483, jour de la longue, de l’interminable agonie du roi Édouard IV. Dans Richard III de Shakespeare, Édouard meurt de culpabilité, car son frère Richard a lancé la rumeur selon laquelle c’était lui qui avait ordonné l’exécution de leur frère George. Dans Les reines, l’assassinat de George n’est prévu que pour la nuit. Ce qui est sûr c’est que la mort de ses deux frères, le roi actuel Édouard IV et son successeur naturel George, assureront pour un temps (il faudra encore qu’il s’occupe de ses neveux) la couronne à Richard.
En arrière-scène de ces drames, mais avec des effets qui sont loin d’être négligeables, il y a ces six femmes, de différents âges, qui ne rêvent que d’être elles-mêmes reine, ou de le rester, ou encore d’être la mère d’un ou de plusieurs futurs rois.
Le pendant du futur Richard III dans les Reines, tout aussi cynique et narcissique que lui, est la jeune Anne Warwick que l’homme laid, contrefait et méchant a promis d’épouser. Ce n’est évidemment pas par amour qu’elle a accepté, mais uniquement pour accéder à la royauté, et Sophie Cadieux, qui tient ce rôle est vraiment remarquable. Kathleen Fortin l’est aussi dans le rôle d’Élisabeth Woodville, l’actuelle reine qui veut le demeurer et se moquerait sinon de la mort de son époux, voire de la disparition de ses deux bébés.
Et puis il y a l’ancienne reine Marguerite d’Anjou (interprétée par Monique Spaziani), la veuve d’Henri VI qui ne rêve que de partir loin pour quitter ce panier de crabes dont elle fait aussi partie; la vieille Cécile Neville (Sylvie Léonard) qui mourra sans être reine, mais en ayant été la mère de deux rois; sa fille Anne Dexter (Marie-Pier Labrecque) qui règle ses comptes avec elle pour n’avoir jamais reçu la moindre marque d’affection de sa part; et enfin Isabelle Neville (Céline Bonnier), qui devrait logiquement devenir reine après la mort d’Édouard, puisqu’elle est l’épouse de George, mais dont le mari sera la prochaine victime de Richard…
La pièce est remarquablement bien écrite et interprétée. Les mots assassins sont si terrifiants, voire excessifs, qu’ils produisent souvent le rire des spectateurs sans doute soulagés de ne pas fréquenter ces hauts lieux du pouvoir où les pires des travers des humains font surface.
Les reines, du 16 novembre au 11 décembre 2021 au Théâtre du Nouveau Monde
Auteur: Normand Chaurette
Mise en scène: Denis Marleau
Production Théâtre du Nouveau Monde, en collaboration avec UBU compagnie de création