Dans l’Espace danse de l’édifice Wilder, Tangente présente du 20 au 23 novembre un programme double de solos cathartiques. Créés respectivement par Sonia Bustos, originaire du Mexique, et Rachelle Bourget, originaire du Manitoba, ils explorent les états qui font suite à deux situations complexes et destructrices: la violence conjugale et les comportements addictifs.
Les univers et approches sont totalement différents. Associés dans une même soirée, ils se nourrissent mutuellement. Les histoires personnelles dans danseuses inspirent à la perfection les situations et les émotions, universelles.
Luz: Dentelle de Sonia Bustos
Le décor est simple, mais accueillant: une branche d’arbre en fond de scène côté cour, des lampions suspendus en avant-scène, un tas de tissu blanc au milieu.
Au fond de la scène à jardin, une table accueille tout le matériel sonore du spectacle. Moe Clark, l’artiste qui crée l’ambiance musicale en direct, est à son poste, souriante, avec son micro, sa pédale loop, ses accessoires, et sa voix. Au fil du spectacle, on se perdra parfois en contemplation dans ses gestes créateurs. La plupart du temps, on l’oublie, enveloppés par ses sons qui coulent naturellement et traduisent à eux seuls tout un cheminement.
Le tas de tissu central, ce sont des jupes de danse folklorique mexicaines. C’est un type de jupe traditionnel qui a évolué au fil du temps, avec l’influence coloniale. Leur histoire est chargée, multiple, entre culture, féminité et patriarcat. Elles appartenaient à la mère de Sonia Bustos, la danseuse qui réalise ici le premier solo de la soirée. Ou est-ce un duo avec la musicienne?
En tout cas, les jupes sont là, toutes en dentelle amassée, comme une fleur fanée abandonnée. La musique commence et l’amas de tissus prend vie. C’est un monstre qui doucement se réveille, s’anime, apprivoise son espace et son corps. Peu à peu, tout cela va retrouver une forme humaine et se débarrasser des tissus. Lorsque finalement un visage apparaît, la vie reprend sa dignité. On souffle, comme soulagé. Il y a quelqu’un là, une femme. Elle se libère, s’allège, se purifie.
Les gestes qu’elle exécute doucement, ce sont des gestes de guérison proposés par des femmes, au Mexique. La danseuse vient guérir toutes ces femmes avec elle-même dans un processus plein de douceur et de bienveillance. On en sort souriant(e), apaisé(e), allégé(e).
Cette première pièce s’appelle Luz : Dentelle. C’est un moment de partage et de résilience. Elle fait partie d’un triptyque, avec Luz : Terre, une performance exécutée dans l’espace public et Luz : Echo, une installation prévue pour un espace alternatif. Cet ensemble vient remettre en question le parcours d’une femme après la dénonciation de violence conjugale. C’est un cadeau de paix et de douceur.
After the cause de Rachelle Bourget
Après la lumière (luz en espagnol) de cette première pièce, la scène est vidée de son décor et fait place à une atmosphère bien plus sombre, au sens propre comme au figuré. Une chaise. Une lampe. Une assiette. Le cauchemar peut commencer. Une voix raconte en anglais. Et l’artiste nous entraîne dans une extraordinaire interprétation d’une étape de vie lugubre.
After the cause pourrait avoir comme sous-titre « sex, drug and stroboscope » mais ça n’en traduirait pas tout le côté terrifiant, effroyablement réussi de la pièce. Dans une alternance de noir absolu et de lumière ponctuelle, les images se succèdent, inquiétantes et sublimes. Le corps humain n’en est plus un. Il est monstrueux, horrible, frénétique, saccadé, perturbé.
En jouant avec un peu de lumière soigneusement choisie, des positions, des mouvements, des expressions, Rachelle Bourget réussit à créer sous nos yeux de véritables visions d’horreur. Elle a créé ce solo en 2017 pour exprimer son propre malaise dans une situation mêlant drogues et relations complexes.
Elle explique aujourd’hui qu’elle n’est plus à la même place. Elle a décidé de reprendre cette pièce et de la réadapter complètement. « Replonger dans ce solo est intéressant, observe-t-elle, ça va plus loin, le travail est plus profond. » Originaire de Winnipeg, c’est sa première représentation à Montréal.
J’aurais aimé voir les pièces se succéder dans l’ordre inverse. Pour moi, la douceur de la réconciliation et de la guérison aurait dû succéder à l’horreur et la honte. La lumière blanche et chaude de Sonia aurait été encore plus lumineuse si elle avait éclairé les ténèbres angoissantes installées avec brio par Rachelle.
Luz: Dentelle et After the Cause
Jusqu’au 23 novembre à l’Espace Wilder.
Une discussion avec les artistes est prévue lundi 22 novembre.